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les révolutions de 1917 à 1921
La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

Un marin de la Mer Noire parle
Diélo Trouda n°44-45 - 1928

L’ABSENCE DE LIAISONS, UNE DES CAUSES DE LA DÉFAITE

Le Parti Communiste Russe affirme ne pas craindre l’anarchisme, mais en même temps développe une action provocatrice, enragée et mensongère à son égard : l’accusant d’être contre-révolutionnaire, petit-bourgeois et antisémite. Ce n’est pas pour rien que le pouvoir bolchevik soulève une telle agitation contre les anarchistes, car en fait il les craint beaucoup. Lorsqu’il y a une propagande contre Makhno dans les livres,] les films, les ouvriers s’étonnent, car ils savent bien qu’if n’était pas contre-révolutionnaire, mais était connu par son action révolutionnaire. Les ouvriers et les marins de la flotte rouge éprouvent beaucoup de sympathie pour Makhno. L’anarchiste russe aurait pu peut-être jouer un grand rôle s’il avait été organisé. Son inorganisation fut la cause de sa défaite et coûte, beaucoup de sang aux travailleurs.

Ainsi par exemple en 1921, les anarchistes insurgés de Kronstadt aurait dû avoir une liaison avec la flotte de la Mer Noire, dont la base était à Marioupol, et s’appelait la flotte rouge d’Azov. Cette flotte comptait 30 unités et possédait une artillerie légère et lourde en grande quantité, ainsi que 4 à 5 hydravions. Elle comptait 3 000 hommes. J’y ai été toute l’année 1920 jusqu’en juillet 1921, c’est-à-dire jusqu’au déplacement à Sébastopol. Pendant ce temps, il n’y eut aucune propagande anarchiste parmi nous.

Au moment de la conclusion du traité entre Makhno et le pouvoir bolchevik en octobre 1920, l’état d’esprit des marins était belliqueux et hostile aux commissaires de la Tchéka.

Le nom de Makhno était très populaire. S’il y avait eu une liaison organisationnelle avec Kronstadt, les équipages des navires se seraient organisés unanimement. La Tchéka n’avait aucune influence sur nous, n’arrivait pas à opérer des arrestations, car les Tchékistes n’osaient même pas montrer leur nez à bord des navires. Ce qui s’y passait ne dépassait par le pont des navires ; ainsi la Tchéka n’arrivait pas à savoir quoi que ce soit par ses agents. L’insurrection de Kronstadt fut pour nous une immense surprise. Le télégramme de Petropavlovsk fut reçu mais non compris.

Personne ne savait quoi faire. Les autorités bolcheviques en Ukraine s’effrayèrent, craignant que la flotte de Marioupol ne s’insurgeât, et elles firent venir précipitamment des troupes vers la ville qui se remplit de Koursantis et de sections spéciales de la Tchéka.

Si l’insurrection avait été déclenchée simultanément avec Kronstadt, la situation aurait été très mauvaise pour les Bolcheviks. Bien que la gamisont ait été renforcée, les marins auraient su en finir avec l’armée (qu’on appelait la Kacha arménienne) rapidement, si l’affaire avait été jusqu’à l’affrontement.

Quelle qu’elle fût, cette armée n’aurait pu soutenir le feu d’artillerie des navires. Nous avions des projets depuis longtemps au sujet de la Tchéka. Nous avions décidé de faire sauter le bâtiment qui l’abritait près d’un parc.

D’autre part, la lutte n’aurait pas duré longtemps avec l’armée, elle n’aurait pas tardé à rallier notre cause.

Le succès était possible donc, mais non seulement il n’y avait pas de liaison avec Kronstadt, mais encore on n’entendait pas du tout parler de Makhno et nous sommes restés sur nos velléités d’action.

Il est vrai que juste avant l’insurrection de Kronstadt, vers la fin de 1920, après que les navires eussent mouillé à Marioupol, venant de Taganrog, des bruits circulèrent comme quoi les Makhnovistes se trouvaient à 18 verstes de Marioupol dans une petite ville du nom de Mongouchi. Il fut ordonné à deux navires : "l’Etoile Rouge" et le "Cosaque Noir", disposant de fortes pièces d’artillerie de tirer sur cette ville. Mais cet ordre fut si bien exécuté que sur "l’Etoile Rouge", lors de la mise à feu, les pièces sabotées sautèrent en tuant ou blessant 26 hommes. Le tir dût s’arrêter et les marins en colère voulurent diriger le feu non contre Makhno mais contre les Tchékistes. Après cet essai raté, la plupart des marins furent rassemblés, le quart seulement restant à bord des navires, et organisés en détachement pour combattre Makhno.

Le détachement se mit en route, orchestre en tête, et les gars en arrivant à la hauteur des Tchékistes se mirent à chanter crânement "la petite pomme" [1]. Cela provoqua chez les Tchékistes un effroi extraordinaire. Ils craignaient d’arrêter les marins lorsque ceux-ci étaient en groupe, mais lorsqu’ils tombaient sur un matelot isolé, celui-là ne sortait plus de leurs pattes, ils l’accusaient d’être makhnoviste.

Nous ne recevions pas de journaux ni de propagande, ni à Marioupol, ni dans les environs. Comme notre participation à la lutte contre Makhno était suspecte, on nous chargea du ravitaillement.

Ainsi, à cause de l’absence d’organisation, les meilleures possibilités révolutionnaires furent négligées.