Le 14 novembre 1920 , le général Wrangel, à la tête d’une armée blanche, est défait en Crimée et ses troupes sont évacuées par les navires français. C’est la fin de la guerre qui a opposé les diverses armées blanches emmenée par des généraux comme Denikine, Youdenitch, Koltchak..., soutenues par les pays de l’Entente (France, Angleterre...) et l’Armée Rouge ainsi que d’autres armées partisanes comme celle dirigée par N. Makhno. Toutes les énergies ont été nécessaires pour vaincre les armées blanches. Les conséquences directes en sont terribles : la faim et la famine sévissent dans de vastes régions tandis que le typhus fait des ravages et que le froid est particulièrement vif au cours de cet hiver. Les années 1918-1920, appelées "communisme de guerre", ont vu le renforcement de l’Etat, sa centralisation et l’apparition d’une bureaucratie détachée des masses : les Soviets sont soumis à son autorité et vidés de toute vie. A cela, il faut ajouter les réquisitions forcées pour obliger les paysans à fournir le grain...
Pour ces derniers, l’ennemi le plus haï et craint était les armées blanches. Celles-ci écrasées, les révoltes surgissent dans la région de la Volga, la province de Tambov, le nord du Caucase et la Sibérie occidentale. Il y a de durs affrontements entre l’Armée Rouge et des bandes armées regroupant jusqu’à 50.000 à 60.000 paysans. Ces révoltes sont possibles pour une autre raison : l’Armée Rouge est en grande partie démobilisée. Plus de 2 millions de soldats retournent à la campagne, en ville. C’est autant de bouches en plus à nourrir, autant de corps ayant une expérience de la guerre, du maniement des armes... Ces révoltes seront réprimées par des troupes sûres de la Tchéka, "paquet" par "paquet" en l’absence de coordination entre elles.
Les ouvriers travaillant dans les quelques usines fonctionnant encore sont soumis à une discipline de fer et ont "droit" à des rations de misère. Au début de 1921 une effervescence sociale se matérialise dans les villes de Moscou, Petrograd et alentours, sous forme d’abord de meetings, de revendications touchant autant aux nécessités matérielles que politiques : contre la dictature du PC et l’exigence de véritables débats ; contre les privilèges et les abus de pouvoir. Les ouvriers n’étant pas entendus par les divers dirigeants et militants du PC, ils se mettent en grève...
22 Janvier. Le gouvernement décide la réduction d’un tiers des rations alimentaires de Moscou, de Petrograd, d’Ivanovo-Voznessensk et de Cronstadt. Cela ne peut qu’entraîner de vives protestations parmi les ouvriers, les marins et les soldats las de 3 années de guerre civile et qui se retrouvent dans une situation encore plus misérable qu’en 1917.
Fin janvier — Moscou. Une vague de grèves motivée par les bas salaires et les rationnements se répand dans toute la ville.
7 Février — Petrograd. Les ouvriers de l’aciérie de Troubotchny se réunissent en assemblée pour exiger la ration antérieure.
9 Février — Petrograd. Les 1.037 ouvriers de tramway (jusqu’au 10) et les 3.700 ouvriers de l’usine de construction navale de la Baltique (jusqu’au 11) se mettent en grève.
11 Février — Petrograd. Le Soviet ferme pour deux semaines 93 usines diverses et 40 usines métallurgiques (toute la grosse industrie) pour manque de combustible. 27.000 ouvriers sont à la rue.
21 Février — Petrograd. Assemblée générale des ouvriers de Troubotchny. Outre la dénonciation de la baisse des rations alimentaires, ils dénoncent le régime de parti unique et l’invasion des "institutions soviétiques par des bourgeois aux mains blanches qui multiplient les actes d’injustice".
22 Février — Petrograd. Meetings spontanés dans les grandes usines.
24 Février — Petrograd. Grève lancée à l’aciérie de Troubotchny en réaction au coup de force de Zinoviev pour empêcher les assemblées de se réunir. Du coup le mouvement s’étend à la fabrique de tabac Laferm, l’usine de la Baltique et l’usine de munitions Patronny. 2.000 manifestants sont dénombrés.
Les unités de la garnison ayant refusé de se battre contre les ouvriers sont désarmées.
Les revendications que l’on retrouve un peu partout sont : l’augmentation des rations alimentaires ; l’abolition des réquisitions de céréales, la distribution de chaussures et vêtements d’hiver, la libre circulation dans un rayon de 50 km et l’abolition des barrages de la milice qui dépouillent les ouvriers revenant de la campagne.
Zinoviev et le comité local du PC créent un état-major spécial appelé "Comité de Défense" composé d’Avror, Lachevitch, Anzelovitch qui proclame l’état de siège : couvre-feu à 23 h, interdiction de tous meetings, attroupements et réunions publics ou privés. Ils organisent par ailleurs des troïkas dans les quartiers de la ville pour mieux être au fait de l’évolution de l’agitation ouvrière.
Moscou. Grève des 7.000 ouvriers et ouvrières de l’usine Goznak (qui fabrique des billets de banque, activité cruciale en cette période d’inflation) suivie d’une manifestation de 3.000 personnes qui tentent d’obtenir du soutien. 3 fabriques débrayent l’après-midi. La reprise en main est difficile. Le gouvernement créé une troïka "pour diriger la tactique des répressions". Celle-ci sera sélective, seuls les leaders socialistes-révolutionnaires, mencheviks et anarchistes sont arrêtés, non pas les dirigeants ouvriers.
25 Février — Petrograd. Des dizaines d’usines se mettent en grève. A l’usine de la Nouvelle Amirauté, se réunit une assemblée générale des ouvriers que tentent de disperser 15 militants du PC. Une foule de 500 manifestants venus de Vassilievski Ostrov les invitent à se mettre en grève. Un cortège se forme, se dirige vers d’autres usines, puis se disperse.
Cronstadt. Cronstadt est une ville sur l’île de Kotline, de 12 km de long, large de 1,5 à 2 km. Pétrograd est à 30 km à l’est. 17.700 marins et officiers, 4.000 soldats et 30.000 civils s’y entassent.
Cronstadt. Assemblée des marins sur le Sébastopol qui veulent s’informer de la situation à Petrograd et à la campagne, à propos de la Tchéka qui organise des barrages pour empêcher les ouvriers de s’y alimenter.
26 Février — Petrograd. Les grèves et manifestations vont en s’amplifiant.
Au Soviet, Lachevitch qualifie les ouvriers de Troubotchny de "contre-révolutionnaires" et d’"hommes qui ne pensent qu’à leur intérêt personnel".
Le Soviet décide le lock-out des ouvriers de Troubotchny qui perdent de ce fait leur ration de vivres.
Une délégation de 12 marins du Petropavlovsk et du Sébastopol sont envoyées à Pétrograd pour information. Elle peut visiter des usines, dont celle de Laferm, l’usine de la Baltique, pendant que les marins tiennent toute la journée des réunions et soutiennent les grévistes de Pétrograd.
Cette délégation est le fruit d’une assemblée tenue sur le Sébastopol qui adopte une résolution dont la teneur sera celle votée le 1er mars par 15.000 marins et soldats.
27 février — Petrograd. Le quotidien Krasnaia Gazeta annonce que les ouvriers pourront désormais se ravitailler à la campagne dans un rayon de 50 km.
Des proclamations apparaissent dans les rues au caractère nettement politique : "Un changement complet de politique de la part du gouvernement est nécessaire. Tout d’abord les ouvriers et paysans ont besoin de liberté..."
Cronstadt. La délégation revient de Petrograd le soir et rend compte sur le Sébastopol.
28 Février — Petrograd. L’usine Poutilov dont l’activité principale est de réparer des locomotives et des wagons (6.000 ouvriers) est en grève.
Arrivée de forces militaires sûres, détachements "spéciaux" d’élite, troupes de choc communistes. La Tchéka organise une vaste rafle de 200 socialistes-révolutionnaires, mencheviks.
Cronstadt. Nouvelle assemblée sur le Petropavlovsk, en compagnie de marins du Sébastopol. On y lit une résolution des ouvriers de l’usine de la Baltique qui exige le transfert du pouvoir aux soviets, le retrait de la force armée des usines.
Pétrichenko propose une résolution en 13 points proposée par une demi-douzaine de marins du Petropavlovsk.
1er Mars — Cronstadt. Un meeting de 15.000 marins, soldats et ouvriers se tient sur la place de l’Ancre. Il réceptionne avec fanfare Kalinine, chef de l’Etat, et Kouzmine, commissaire de la Flotte de la Baltique (le Poubalt). Les délégués des marins, retour de Petrograd, font leur rapport.
Le marin Petritchenko présente la résolution finale en 15 points du Petropavlovsk.
Kalinine et Kouzmine attaquent violemment la résolution et critiquent les grévistes de Petrograd.
La résolution du Petropavlovsk est adoptée à l’unanimité sauf les seuls opposants que sont Kalinine, Kouzmine, Vassilief, président communiste du soviet de Cronstadt.
Alors que Kalinine regagne Petrograd sans encombre, les 30 marins que l’assemblée a décidé d’envoyer pour faire connaître les résolutions en 15 points aux ouvriers, sont arrêtés.
Moscou. Radio-Moscou dénonce "le complot de la garde blanche (...) la mutinerie a été organisée par des espions de l’entente". Ce sont des mensonges infâmes que le journal l’Humanité (désormais aux mains de la section française de l’Internationale Communiste) reprend à partir du 8 mars : "La rébellion de Cronstadt provoquée par un général tsariste sera domptée..."
2 Mars — Cronstadt. Assemblée d’un plus de 300 délégués, présidée par Petritchenko, à la Maison de la Culture. Elle se tient sous la protection des marins du Petropavlovsk. Elle a pour objectif l’organisation des élections au soviet de Cronstadt. Les chefs communistes locaux s’y opposent fermement, ils en sont exclus. Pressé par l’enchaînement des événements, un Comité révolutionnaire provisoire est créé et l’élection du Soviet est ajournée.
Ce CRP fait occuper les arsenaux, le central téléphonique, les entrepôts de ravitaillement, fait arrêter les délégués et dirigeants communistes. Le soir, la ville est aux mains des insurgés, le CRP impose ses ordres : "Le CRP de la ville de Cronstadt donne l’ordre à toutes les institutions de la ville et de la forteresse, sans exception, d’exécuter toutes les décisions du Comité" (Izvestia n°2).
Cette insubordination à l’égard du pouvoir soviétique est un acte insurrectionnel.
En réaction, la première mesure que prend le gouvernement bolchevik est d’organiser un cordon sanitaire entre les insurgés et le continent. L’accès à la terre ferme est interdit.
3 Mars — Petrograd. C’est l’action combinée de la répression et de la satisfaction de quelques revendications (comme l’envoi express de vires et de charbon) qui réussit à stopper l’ampleur du mouvement de grèves. Toutefois c’est un calme fragile et précaire.
Des familles des marins de Cronstadt sont jetés en prison comme otages.
Toukhatchevski est nommé responsable des opérations militaires pour la reprise de Cronstadt.
Cronstadt. Le CRP envoie une vingtaine de marins à Oranienbaum et Petrograd pour diffuser la résolution du 1er mars. Ils sont arrêtés et fusillés 2 semaines plus tard.
Le CRP créé un quotidien : le premier numéro des "Izvestia du comité révolutionnaire provisoire des matelots, soldats rouges et ouvriers de Cronstadt" ou pour faire plus court : Izvestia de Cronstadt paraît pour la première fois. 2 numéros sortent le même jour.
Le Comité provisoire organise la vie et la défense de la ville et arme les ouvriers. Il décrète la réélection d’ici trois jours des organismes syndicaux.
Le CRP n’opte pas pour une stratégie offensive. Il se replie sur Cronstadt, ordonne aux ouvriers de travailler, aux marins et soldats de rester à leur poste.
Des troupes spéciales de l’Armée Rouge s’emparent de la garnison d’Oranienbaum, au sud de Cronstadt.
4 Mars — Petrograd. Le Comité de défense poursuit le "nettoyage général" de la ville.
Des proclamations officielles ordonnent aux grévistes de reprendre immédiatement le travail.
Une session extraordinaire du soviet de Petrograd se tient la nuit. En raison du couvre-feu, l’écrasante majorité est composée de membres du PC munis d’un permis pour circuler. Des délégués de comité d’ouvriers sont présents, mais rejetés à la périphérie, ils sont hués, ne peuvent se faire entendre.
La résolution finale du Soviet exige la reddition de Cronstadt insurgée "coupable de soulèvement contre-révolutionnaire."
La Pravda de ce jour revient sur la thèse du complot : "Les socialistes-révolutionnaires avec le général Kozlovsky, veulent mettre à exécution le plan d’une constitution ententophile, à main armée."
Cronstadt. Assemblée de 202 délégués des unités militaires et des syndicats qui procède à l’élection de 10 membres supplémentaires complétant le Comité révolutionnaire (4 ouvriers, 6 marins). Des marins venus du contingent rapportent les calomnies propagées à Petrograd contre Cronstadt. La résistance est organisée dans l’enthousiasme : "La victoire ou la mort".
Dans la nuit, 4 jeunes marins du Sébastopol partent vers Petrograd avec 3.000 tracts. Ils sont interceptés. Ils seront fusillés par la suite.
5 Mars — Petrograd. Trotsky, en tant que commissaire à la Guerre, arrivé de Moscou dans la nuit, lance un ultimatum à Cronstadt qui expire le 7 mars. Il ordonne le brouillage des émissions de radio de Cronstadt.
Un décret signé par Trotsky et S. Kamenev rétablit la 7ème armée qui avait combattu l’amiral Koltchak en Sibérie et éloigne de la ville les troupes peu sûres.
Le Comité de défense surenchérit dans un appel transmis sur Radio-Moscou et lancé sous forme de tract par avion aux insurgés : "Si vous persistez on vous tirera comme des perdreaux".
Le gouvernement craint toujours une révolte générale. Non seulement tout le district nord est soumis à la loi martiale mais Petrograd est maintenant en "état de siège extraordinaire". Le couvre-feu est avancé à 21 h.
Les anarchistes Alexander Berkman, Emma Goldman, Perkus, Petrovsky adjurent Zinoviev de chercher un règlement pacifique du conflit avec Cronstadt. Cette initiative est ignorée et ne connaîtra pas de suite.
Cronstadt. 202 délégués des unités et des équipages se réunissent en assemblée. Elle nomme 15 membres du Comité, dont 3 mencheviks, 3 socialistes-révolutionnaires, 3 anarchistes.
Le Comité Révolutionnaire Provisoire répond aux accusations. "Notre cause est juste : nous sommes pour le pouvoir des soviets et non pour celui d’un parti, nous sommes pour la représentation librement élue des masses laborieuses. Les soviets truqués accaparés par le parti communiste sont restés sourds à nos revendications et nous n’avons reçu en guise de réponse que des fusillades...
... A Cronstadt, le pouvoir se trouve entre les mains des marins, des soldats rouges et des ouvriers révolutionnaires et non entre celles de gardes blancs avec le général Kozlovsky à leur tête comme l’affirme la radio communiste de Moscou".
6 Mars — Petrograd. Dernier ultimatum de Trotsky qui exige de Cronstadt et les navires insurgés la soumission à l’autorité de la République soviétique.
Cronstadt. Le Comité Provisoire reçoit une demande du Soviet de Petrograd d’envoyer une délégation à Cronstadt. Il rejette cette proposition, n’ayant pas confiance dans la neutralité des sans partis et propose d’élire "en présence de nos délégués, des représentants sans parti des usines, des unités rouges et des marins." Ce qui ne peut aboutir.
7 Mars. 18 h 45 : Les batteries de Sestroretsk (nord-est) bombardent Cronstadt. Les forts et navires de cette dernière répliquent. Le CRP envoie l’appel "Que le monde entier sache. A tous... à tous... à tous..." par radio et publié dans les Izvestia du 8 mars.
Petrograd. Meeting des ouvriers de l’Arsenal qui adoptent la résolution des marins insurgés et élisent une commission spéciale devant aller d’usine en usine propager l’idée de grève générale.
Les Troikas locales du Comité de Défense procèdent au licenciement des ouvriers en grève et à un nouvel embauchage.
Arrivée de troupes sûres de l’Armée Rouge, de la Tchéka et de koursantis (élèves-officiers).
Quelques tracts anarchistes sont collés et vite arrachés. L’un d’eux invite la population à manifester sa solidarité contre "les nouveaux tyrans".
8 Mars — Cronstadt. Radicalisation de la lutte, désormais le parti communiste russe n’est plus considéré comme le défenseur des travailleurs. "La première pierre de la 3ème Révolution est posée" (article "Pourquoi nous combattons").
Premier bombardement aérien sur Cronstadt. Première vague de 20.000 soldats de l’Armée rouge qui partent à l’assaut de Cronstadt. Des soldats refusent d’avancer. Ce qui explique qu’il y ait à l’arrière des troupes sûres de la Tcheka, dirigées par Dybenko, armées de mitrailleuses pour abattre les désobéissants. Pourtant des soldats fraternisent et rejoignent Cronstadt. Cette offensive est un échec pour le pouvoir en place. Du coup la sympathie pour les insurgés croît parmi les ouvriers de Petrograd.
Moscou. Ouverture du Xe Congrès du P.C. où 2 points seront abordés. Une attaque violente se fera contre l’Opposition ouvrière dont les thèmes de prédilection (liberté de discussion, rôle prépondérant des syndicats...) se retrouvent aussi à Cronstadt. L’appareil du parti ne pouvait que la considérer comme une "menace contre la révolution" pour reprendre les termes de Lénine et interdire toute fraction à l’intérieur du Parti.
L’autre point est celui de la Nouvelle Politique Economique : fin des réquisitions forcées, remplacées par l’impôt en nature. C’est le retour d’une économie de marché.
9 Mars — Petrograd. L’incertitude règne quant au moral des troupes qui se sentent solidaires de Cronstadt. Il faut peu de choses pour que la situation bascule d’un côté comme de l’autre. Le gouvernement met tout en œuvre pour briser cette incertitude.
Le brouillard et la neige empêche le tir d’artillerie et le survol de Cronstadt.
10 Mars. 279 délégués du Xe Congrès du P.C. vont à l’encontre des soldats pour les convaincre de se battre contre les insurgés. Des membres de l’Opposition ouvrière, des "décémistes" en sont partie prenante, car ils considéraient que les marins, soldats de Crontadt n’avaient pas le droit d’imposer par la force leurs revendications, pourtant bien semblables aux leurs.
Des salves d’artillerie nocturnes sont lancées contre Cronstadt. Elles contribuent à la démoraliser.
11 Mars. L’aviation peut décoller. 29 avions survolent Cronstadt et lâchent des milliers de tracts et 400 kilos de bombes inefficaces.
Cronstadt. La conférence des délégués se réunit pour la troisième et dernière fois.
12 Mars. Dans la soirée, l’attaque générale sur Cronstadt est repoussée. 50 délégués du Congrès arrivent. Ils ont pour tâche de remonter le moral des troupes.
13 Mars. Plusieurs régiments refusent le combat ; des meetings sont tenus par les soldats. Les soldats du bataillon de renseignements, du groupe de mitrailleurs et des 5è et 6è compagnie du régiment dit de Cronstadt déclarent qu’ils refusent d’attaquer. Ils sont désarmés et internés. La répression s’abat sur les soldats. Quelques-uns sont fusillés, les autres subissent une intense propagande.
Deux autres régiments, de Nevel et Minsk, se mutinent, mais rendent les armes. 74 "meneurs" sont fusillés. Les soldats rentrent dans le rang. Du coup l’offensive projetée par Toukhatchevski est repoussée.
14 Mars. Nouveaux refus d’autres régiments. "Là-bas nous avons beaucoup de frères et nous n’irons pas nous battre contre eux".
15 Mars — Cronstadt. Les insurgés constatent que leurs dépôts de farine sont vides.
Moscou. Le Xe Congrès du P.C. se sépare après avoir mobilisé toutes les organisations du parti pour écraser l’insurrection.
16 Mars. Bombardement général par l’artillerie côtière et l’aviation, particulièrement sur la ville, le Petropavlovsk et le Sébastopol pour semer la panique et l’affaiblissement du moral.
17 Mars. C’est l’offensive générale de 50.000 soldats à partir d’une heure du matin, en deux groupes : l’un au sud, l’autre au nord-ouest.
À 18 heures. Cronstadt est encerclée. Les assaillants qui se sont emparés de certains forts, guidés par des communistes laissés en liberté, pénètrent dans la ville. Les derniers forts doivent être pris un à un.
18 Mars. Les derniers combats de rue sont âpres : à la baïonnette, à la grenade, rue par rue. 6.700 insurgés et habitants partent en Finlande et sont internés.
Dybenko, ancien matelot de Cronstadt, ancien commissaire à la Flotte, est nommé commissaire de Cronstadt avec les pleins pouvoirs pour "nettoyer la ville rebelle".
Des centaines de prisonniers sont envoyés à Petrograd et livrés à la Tchéka.
La répression s’abat au même moment où le pouvoir bolchevik célèbre hypocritement le 50ème anniversaire de l’insurrection parisienne de 1871.
Remarque à propos de la répression
Il est toujours difficile d’aborder cet aspect. On ne peut connaître le nombre de morts précis pour plusieurs raisons. Pour cela il faudrait connaître de nombre exact de personnes présentes dans les deux camps, combattantes ou non, ce qui est une gageure. Le pouvoir écrase le mouvement, monte en flèche le nombre de "ses" morts et entretient le flou, masque le nombre de tués, fusillés du camp adverse. Ceux du camp des insurgés font vibrer la corde du martyrologe pour s’attirer la sympathie de ceux toujours prêts à pleurer sur le sort des "victimes" alors qu’ils étaient de fiers combattants luttant pour leur émancipation.
2.168 insurgés sont condamnés à mort et fusillés selon les décomptes de J.J. Marie dans son livre Cronstadt. Dès juin 1921, des insurgés réfugiés en Finlande retournent en Russie (ils ne sont pas les bienvenus en Finlande). Certains sont déportés à Arkhangelsk, aux îles Solovki et à Kholmogory.
Difficile de s’y retrouver, entre un J.J. Marie favorable à la répression de Cronstadt, qui a toutefois consulté des documents jusque-là restés inédits et reproduit les chiffres de la Tchéka, et un Nicola Werth qui écrit dans le Livre Noir : "Sur les 5.000 détenus de Cronstadt envoyé à Kholmogory, moins de 1.500 étaient encore en vie au printemps 1922". Il parle aussi d’un "grand nombre de mutins de Cronstadt (...) [qui] auraient été noyés dans la Dvina en 1922". J.J. Marie dit que cela est une fable.
Victor Serge dit fort justement "qu’un massacre n’a pas besoin d’être immense pour être abominable et, par définition, anti-socialiste" (Révolution Prolétarienne n°257). Pourtant il affirme sans donner ses sources (alors que juste avant dans son article, il écrit "indiquez vos sources" !) : "Trois mois après, on en sortait encore des prisons de Petrograd, la nuit, par petits paquets pour les exécuter dans des caves ou au polygone". Ce qui sera repris par la suite sans faire l’effort de chercher encore et toujours.
Ce qui nous importe est de dire que les insurgés ont été battus par la contre-révolution capitaliste en Russie. Que c’est le triomphe de l’Etat qui peut, à l’intérieur de ses frontières, promouvoir la NEP, la Nouvelle Politique Economique, appelée fort justement Nouvelle Exploitation du Prolétariat, pendant qu’à l’extérieur des accords commerciaux peuvent être signés avec l’Angleterre, l’Amérique.