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les révolutions de 1917 à 1921
La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

Les fruits de la commune
Izvestia N° 13 - Mardi 15 mars 1921

"Camarades ! Nous allons construire une vie nouvelle et belle !" Ainsi parlaient et écrivaient les communistes.

"Nous détruirons tout ce monde de violence et construirons le radieux paradis du socialisme", chantaient-ils au peuple.

Que se passa-t-il alors ?

Toutes les plus belles maisons et les meilleurs appartements ont été réquisitionnés par les sections et les sous-sections où leurs bureaucrates se sont installés spacieusement, confortablement, douillettement. Le nombre des appartements d’habitation à diminué et les ouvriers vivent où ils vivaient avant, mais dans un ennui et une misère bien pires encore.

Les maisons se délabrent, le chauffage se détraque ; les carreaux cassés ne sont pas remplacés, les toitures se couvrent de rouille et laissent passer l’eau ; les clôtures s’effondrent, les tuyauteries sont crevées, les cabinets ne fonctionnent pas, les immondices inondent les pièces ; les citoyens vont satisfaire leurs besoins dans les cours voisines. Les escaliers sont sales et sans lumière, les cours répugnantes, les décharges et les fosses d’aisance engorgées. Les rues sont immondes, les trottoirs malpropres et glissants. Y marcher constitue même un danger.

Pour obtenir un appartement, il faut avoir une relation au bureau du logement, sinon, il est tout à fait inutile d’y penser. Seuls, les favorisés possèdent des logements spacieux et confortables.

C’est encore pire pour se nourrir. Des fonctionnaires irresponsables et ignorants ont laissé perdre des centaines de milliers de tonnes de produits. On ne vend pas de pomme de terre qui ne soit gelée ; la viande, au printemps et en été, est toujours avariée. On n’aurait pas donné jadis au cochon ce qu’aujourd’hui les citoyens reçoivent des constructeurs de cette vie "paradisiaque".

Ce fut l’honnête poisson soviétique, le hareng, qui sauva la situation, mais il commence à se faire rare.

Pour obtenir ces pitoyables déchets, il faut des heures entières de queue.

Les boutiques soviétiques sont pires que les magasins d’usines de sinistre mémoire où les maîtres de forge écoulaient toutes sortes de camelote à leurs ouvriers prisonniers qui ne pouvaient dire un mot.

Pour détruire la vie de famille, nos dirigeants ont établi des restaurants collectifs... Qu’en est-il ?

La nourriture y est moins mangeable encore ! Les produits sont pillés et les citoyens ne reçoivent que les restes. Les enfants sont un peu mieux nourris, mais ce qu’on leur donne demeure très insuffisant, et surtout le lait manque. Les communistes, en leur temps, ont réquisitionné les vaches laitières des paysans pour leurs fermes. Ils en ont tué la moitié. Le lait des vaches qui ont survécu va d’abord aux gouvernants, aux fonctionnaires, et le reliquat aux enfants.

Mais le pire de tout est ce qui se passe avec les vêtements et les chaussures. On porte seulement ce que l’on a stocké auparavant. Presque rien n’est distribué : aujourd’hui, par exemple, un syndicat vend des boutons à raison d’un et demi par tête — n’est-ce pas se moquer du monde ? Quant aux chaussures, c’est catastrophique. Le chemin du paradis n’est peut-être pas long, tu n’en verras pas la fin si tu n’as pas de talons.

Et pourtant, il y a des circuits par lesquels s’écoule le nécessaire. La preuve est que les pontes du Parti Communiste, eux, ne manquent de rien !. Ils ont leurs propres restaurants et des rations spéciales et, pour leurs valets, un guichet distribue des biens à la grâce de mesdames les commissaires.

Mais il est devenu évident que la "commune" a sapé et complètement désorganisé le travail productif. Tout goût, tout intérêt pour le travail a cessé. Les bottiers, les couturiers, les plombiers, etc., artisans jadis, ont tout quitté et sont devenus, qui gardien du port, qui vigile, qui ouvrier d’État...

Tel est le paradis que les bolcheviks ont entrepris de construire.

On a remplacé l’ancien régime par un nouveau régime d’arbitraire, d’insolence, de "fraternité", de propriété, de vol et de spéculation, un régime affreux sous lequel, pour chaque bout de pain, pour chaque bouton, il faut tendre la main vers le pouvoir, un régime sous lequel on ne s’appartient plus à soi-même, où l’on ne peut plus disposer de soi-même. Régime d’esclavage et d’humiliation.

Voilà dans quel enfer nous avons vécu pendant trois ans. Or ce n’étaient là que des bourgeons ; mais nous en éviterons les fruits.