Premier avant-propos
Le moment nous paraît venu de mieux comprendre Cronstadt, bien qu’il n’y ait guère eu, depuis 1921, aucun nouvel apport de données ou de faits. Les archives du Gouvernement russe et de l’Armée rouge restent toujours fermées à une analyse objective. Dans quelques publications officielles pourtant, certains faits se sont reflétés quoique sous un jour faux. Mais ce qu’on connaissait à l’époque était déjà suffisant pour dégager le sens politique de cet événement symptomatique et crucial de la révolution russe.
Les militants ouvriers en Occident avaient une confiance absolue dans le gouvernement bolcheviste qui venait de diriger un effort immense des travailleurs dans la lutte contre la réaction féodalo-bourgeoise et qui personnifiait, à leurs yeux, la révolution même.
Les esprits se refusaient à croire que ce même gouvernement fût capable de réprimer avec cruauté une insurrection révolutionnaire. C’est pourquoi les bolcheviks purent sans peine taxer ce mouvement de réactionnaire et le dénoncer comme étant organisé et soutenu par les bourgeoisies russe et européenne :
"Une insurrection des généraux blancs ayant à leur tête l’ex-général Kozlovsky, criaient les journaux russes de l’époque, tandis que les marins de Cronstadt radiodiffusaient l’appel suivant adressé au monde entier : Camarades ouvriers, soldats rouges et marins. Nous sommes pour le pouvoir des Soviets et non pour celui des partis, nous sommes pour la représentation libre des travailleurs. Camarades, on vous trompe ! A Cronstadt, tout le pouvoir est exclusivement entre les mains des marins révolutionnaires, des soldats rouges et des ouvriers, et non dans celles des gardes-blancs avec un quelconque général Kozlovsky à la tête, comme vous l’assure la radio de Moscou."
Telles étaient les interprétations opposées des marins de Cronstadt et du gouvernement du Kremlin. Soucieux de servir par une analyse objective des événements historiques, les intérêts vitaux du mouvement ouvrier, nous nous proposons d’examiner ces thèses opposées à la lumière des faits et documents, ainsi que sous l’angle des événements qui suivirent presque immédiatement l’écrasement de Cronstadt.
"Les travailleurs du monde entier nous jugeront", radiodiffusaient les Cronstadiens, "et le sang des innocents retombera sur les têtes de ceux qui se sont enivrés de pouvoir". Etait-ce une prophétie ?
Nous joignons à cette préface une liste des militants communistes ayant pris une part active à la répression de l’insurrection. Les lecteurs verront quelle fut leur destinée.
Zinoviev, dictateur omnipotent de Pétrograd, ayant inspiré la lutte implacable contre les grévistes et les marins. Fusillé.
Trotski, Commissaire du peuple de la guerre et de la marine, assassiné par un agent de Staline au Mexique.
Lachévitch, membre du Conseil de guerre révolutionnaire, membre du Comité de Défense organisé pour la lutte contre les grévistes de Pétrograd. Suicidé.
Dybenko, ancien matelot, fut, avant Octobre, un des organisateurs de la Centrale de la flotte Baltique, joua un rôle particulièrement actif dans l’écrasement militaire de Cronstadt. Vers 1938 était encore commandant de la garnison de la légion de Pétrograd. Fusillé.
Kouzmine, commissaire de la flotte Baltique. Destin inconnu, on n’en a plus jamais parlé.
Kalinine est resté au pouvoir nominalement, comme président fantoche. Mort de mort naturelle.
Toukhatchevsky, commandarm 7[?], ayant élaboré le plan et dirigé la prise de Cronstadt. Fusillé.
Poutna, décoré pour sa participation à l’écrasement militaire de Cronstadt, plus tard attaché militaire à Londres. Fusillé.
Délégués au Xème Congrès du Parti communiste, venus se battre contre les Cronstadiens :
Piatakov, fusillé.
Roukhimovitch, fusillé.
Boubnov, destitué et disparu.
Zatonsky, destitué et disparu.
Vorochilov, a encore joué un certain rôle durant la guerre 1941-45.
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