Après que l’Entente se trouva contrainte, par la victoire de l’armée rouge et par la protestation toujours croissante des ouvriers anglais et français, à renoncer à la guerre ouverte contre la Russie Soviétiste, après que l’Angleterre, puissance directrice de la contre-révolution, se vit forcée de signer un accord commercial avec cette même Russie Soviétiste, parce que les ouvriers anglais en espèrent une atténuation de la crise du chômage, les gouvernements de l’Entente cherchent à présent à renverser le pouvoir des Soviets par tous les moyens. Leurs agents s’efforcent de provoquer dans toute la Russie des soulèvements de paysans en persuadant ces derniers que leurs terres n’étant plus menacées par les nobles et les généraux blancs, il ne subsiste aucune raison pour qu’ils nourrissent les ouvriers. On espère que ces insurrections, si elles réussissent, couperont les communications entre les centres industriels et les provinces agricoles et pousseront les masses arriérées du prolétariat à la lutte contre le Gouvernement Soviétiste.
La contre-révolution capitaliste spécule sur la fatigue d’un pays qui a subi trois années de guerres impérialistes et quatre années de guerre civile, a été privé, pendant ce temps, de toute importation étrangère et a enduré des souffrances inouïes. Elle espère que le prolétariat épuisé se prêtera facilement à sa propagande. A côté des espions ordinaires de l’Entente et des agents monarchistes, agissent dans le même sens les organisations clandestines des partis socialistes-anarchistes de la Deuxième Internationale et une traction des mencheviks de l’Internationale deux-et-demie.
Leur propagande a réussi à provoquer, le 2 mars, le soulèvement d’une partie des marins de Cronstadt. Pour comprendre sa genèse, il faut savoir que les anciens marins, héros de la révolution d’Octobre, sont tombés pour la plupart sur les fronts innombrables de la guerre civile, à l’avant-garde de la révolution soviétiste, ou bien occupent maintenant des postes de direction et de commandement dans les administrations ou l’armée rouge. Les marins de Cronstadt se composaient, en majorité, de fils de paysans de la Russie méridionale et, pour le reste, de techniciens bourgeois ou petits-bourgeois n’ayant pas terminé leurs études et attirés dans la flotte par des conditions de vie relativement privilégiées. Mécontents de la discipline nécessairement maintenue dans la forteresse et sur les navires, si on ne voulait pas que Petrograd devint une proie facile pour les flottes de l’Entente, ces marins se sont laissés entraîner au soulèvement par la revendication inoffensive de la réélection des soviets, mise en avant par des organisations socialistes-révolutionnaires, anarchistes et monarchistes, agissant dans l’ombre. N’osant pas formuler les principes de la Constituante ou de la restauration tsariste, les contre-révolutionnaires ont avoué, par là-même, que même ces marins retardataires ne voulaient pas servir consciencieusement la contre-révolution.
Pour rendre impossible toute conciliation entre les mutins et le Gouvernement, les contre-révolutionnaires incitèrent les marins à arrêter les communistes et les représentants des soviets et réussirent ainsi à provoquer la rupture. A l’insu des marins, ils appelèrent à leur aide les gouvernements capitalistes et les contre-révolutionnaires de l’étranger. Ces derniers comprirent aussitôt de quoi il s’agissait. Depuis la Volia Naroda, organe socialiste-révolutionnaire, jusqu’à Wrangel en passant par Milioukoff, tous se déclarèrent en faveur des insurgés, car il leur était indifférent de rentrer en Russie par une porte ou par une autre, par celle de droite ou par celle de gauche. Ils savaient que la seule forme possible de la dictature du prolétariat, en Russie, est celle de sa partie la plus éprouvée, la plus expérimentée : le Parti Communiste. Un gouvernement soviétiste sans-parti ne saurait durer 15 jours, car ce serait le gouvernement des masses arriérées et inhabiles. Il ferait place fatalement à un gouvernement franchement contre-révolutionnaire. Voilà pourquoi le journal de Milioukoff à Paris, Les Dernières Nouvelles du 11 mars, déclare expressément qu’il faut, pour le moment, abandonner la Constituante et se résigner à cette seule devise :
"A bas les communistes ! Vive le vrai pouvoir des soviets !", car cela aboutira vraisemblablement à faire passer le pouvoir des mains des bolcheviks dans celles des socialistes modérés. Car, continue cette feuille, avec un pareil gouvernement on pourra préparer un Parlement bourgeois. Cette conception de l’organe cadet étant en effet conforme à la réalité, les banques russes à l’étranger, le monarchiste Goutchkoff et l’ancien ministre tsariste Kokovlsoff à leur tête, envoyèrent immédiatement en Finlande des sommes considérables pour le mouvement de Cronstadt. C’est pour cela aussi que les gouvernements français et américain firent aussitôt parvenir à Cronstadt des secours sous le pavillon de la Croix-Rouge. Ils ne parvinrent pas à temps aux contre-révolutionnaires de Cronstadt et à leurs victimes inconscientes. Les troupes rouges, conduites par les communistes, montèrent à l’assaut avant l’arrivée des contre-révolutionnaires en route par la Finlande. Le soulèvement se trouva liquidé.
Entre autres enseignements qu’il laisse à la classe ouvrière de tous les pays, il aura servi à démasquer enfin les Internationales deux et deux-et-demie. Toute la presse de la Deuxième Internationale, celle de Noske, le bourreau du prolétariat allemand, aussi bien que celle de Vandervelde, le ministre du Roi des Belges, s’est placée, dès le début, aux côtés de. la contre-révolution masquée sous des phrases radicales. Mais, après tout, les Scheidemänner ont bien soutenu la contre-révolution monarchiste non déguisée en la personne de Bermont. Si ces adversaires, par principe, de la dictature du prolétariat se déclarent pour les marins de Cronstadt qui prétendent défendre le vrai Pouvoir des Soviets, c’est tout simplement qu’ils savent bien que si le Gouvernement bolcheviste était écrasé en Russie, le ministre belge et les Scheidemänner verraient s’accomplir leur rêve, la restauration du gouverne ment bourgeois, seul légitime en Russie. Le fait que les organes adhérant à l’Internationale deux-et-demie, qui sont en paroles pour la révolution russe, pour la dictature du prolétariat et le Gouvernement des Soviets, ont chanté la louange du soulèvement de Cronstadt, ce fait est bien plus important pour éclairer la situation du mouvement ouvrier international. Au moment où les prolétaires conscients de Russie se battaient par milliers sur les glaces du golfe de Finlande contre l’artillerie lourde des forts de Cronstadt et comblaient la brèche, ouverte dans le rempart de Petrograd par le soulèvement, pour protéger la capitale contre l’Entente, à ce moment "l’indépendante" Freiheit ne trouva rien de mieux que de représenter Zinoviev comme celui qui a mené le prolétariat russe à sa perte et d’entourer le soulèvement contre-révolutionnaire d’une auréole sacrée. Jean Longuet inséra dans son Populaire des articles en l’honneur des mutins de Cronstadt. Le Wiener Arbeiter Zeitung de Bauer et Frédéric Adler se place résolument "aux côtés de l’émeute". Hilferding, Crispien, Dittman, Longuet, Adler, Bauer, dans celte situation mémorable, en présence d’une nouvelle agression de la contre-révolution capitaliste, ont marché la main dans la main avec Wrangel, Milioukoff, Kokovisoff et les stipendiés de l’espionnage anglo-français. Ce fait doit être porté à la connaissance des masses prolétariennes. Sans aucun doute, elles comprendront qu’un soulèvement soutenu par toute la contre-révolution russe, tous les états-majors de la contre-révolution internationale, est la contre-révolution même, quand même il se couvrirait du drapeau rouge et des devises, au nom desquelles la bourgeoisie russe a été écrasée en octobre. Les héros de l’Internationale deux-et-demie sont, ou bien des phraseurs ne sachant pas ce qu’ils veulent, incapables de comprendre la réalité des choses, instruments aveugles de la contre-révolution par haine de l’Internationale Communiste, ou bien ils sont les complices conscients de la réaction mondiale. Il n’y a pas de milieu. Dans les deux cas, c’est le devoir des ouvriers révolutionnaires de faire tomber le masque non seulement de l’Internationale des Scheidemann, Vandervelde et Henderson, mais encore de l’Internationale deux-et-demie, des Longuet, Hilferding, Bauer et Grimm. Les ouvriers révolutionnaires du monde entier, qui ont suivi les communistes russes et aidé la Russie Soviétiste pendant ces quatre années de lutte héroïque incessante, doivent, en présence de cette nouvelle campagne du Capital, repousser et anéantir non seulement les gens de la Deuxième Internationale, mais encore ceux de l’Internationale deux-et-demie.
A bas donc les Internationales deux et deux-et-demie, les valets avoués ou masqués de la bourgeoisie !
Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste