Bandeau
les révolutions de 1917 à 1921
La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

Le chemin d’octobre

L’offensive de Kornilov, dont la nouvelle s’était répandue à une vitesse foudroyante dans toute la Russie, sa rapide liquidation par les soviets locaux, le rôle non négligeable joué par Kronstadt, valurent aux Kronstadiens auprès des travailleurs, une réputation de révolutionnaires intransigeants. Les calomnies imprudentes de ces derniers jours dues à la presse bourgeoise écrite et orale, soutenant ouvertement Kornilov, avaient fait croire en plus que Kérensky était de connivence avec le général Kornilov. La participation directe du S.R. Savinkov aux plans réactionnaires du quartier général des généraux, tout cela fit que de larges couches de travailleurs se mirent tout de suite à se tourner vers Kronstadt avec beaucoup de confiance, affirmant que Kronstadt avait eu raison les 3 et 6 juillet, qu’elle avait prévu la réaction et avait tenté de la dénoncer à son début.

Kronstadt remporta une complète victoire morale. De tous côtés, des délégations commencèrent à y affluer. En septembre, des délégations d’ouvriers vinrent de l’Oural, de Sibérie, ainsi que des représentants du soviet de Kazan... Désormais en province, non seulement on ne chassait pas les Kronstadiens mais au contraire, on les y appelait avec insistance. Là, par leur travail acharné, ils soulevaient l’esprit révolutionnaire de masses, étaient délégués aux élections des soviets et radicalisaient les organisations ouvrières et paysannes. Les menchéviks et les S.R., en ce moment décisif d’une rupture totale, alors qu’il fallait agir et non bavarder, continuèrent à mener leur propagande tout comme avant, en croisant les bras jusqu’à "l’Assemblée Constituante.".

Il leur fallut réellement "croiser les bras" et quitter les organisations paysannes et ouvrières qui se mettaient dorénavant sur la voie d’une lutte directe pour leur propre compte.

On peut affirmer sans exagérer, qu’il n’y eut aucune province, aucun district où n’aient été les propagandistes et organisateurs kronstadiens. Ils appelaient partout les paysans à s’emparer immédiatement des terres, à désobéir au pouvoir, à renforcer les soviets et à exiger l’arrêt rapide de la guerre.

Comment s’écoulait le temps à Kronstadt ? Par quels moyens s’approfondissait la propagande révolutionnaire ? Quelles formes prenait l’activité autonome des masses ?

Les bolchéviks continuaient à naviguer entre l’Assemblée Constituante et le mot d’ordre "Tout le pouvoir aux soviets locaux et au centre", s’opposant au gouvernement de coalition, prônant la formation d’un gouvernement des seules tendances de gauche. Ils s’opposaient très violemment à la guerre, espérant que "la fraternisation" dans les tranchées amènerait la décomposition du camp ennemi et la fin de la guerre.

Les anarchistes, à propos de la guerre, proposaient de ne pas quitter le front mais de ne pas attaquer. Lorsque les soviets auraient abattu le pouvoir, devenant la seule Force, lorsque la terre serait aux mains des paysans, les usines et les fabriques aux mains des ouvriers, si les propositions des masses révolutionnaires faites par leurs soviets aux impérialistes de débarrasser la Russie des troupes étrangères n’étaient pas acceptées, alors il faudrait passer à l’offensive, proposaient-ils.

La résolution prise le 5 octobre, au congrès des représentants de la flotte de la Baltique, diffusée par radio à l’intention des opprimés du monde entier, caractérise excellemment la position des marins de la Baltique sur le problème de la guerre. Elle dit :

"Frères, à l’heure fatale où retentit le signal de la bataille, le signal de la mort, nous vous envoyons notre salut et nos dernières volontés. Attaquée par des forces allemandes supérieures, notre flotte périt dans une lutte inégale. Pas un de nos navires n’évitera le combat, pas un marin ne reviendra vaincu à terre. Nous sommes obligés de tenir solidement le front et de protéger les accès de Pétrograd. Nous accomplissons notre devoir. Nous le faisons non pas sur l’ordre d’un quelconque Bonaparte russe ne régnant que par la grâce et la patience de la Révolution, nous allons combattre non pas pour exécuter des traités de notre gouvernement avec les alliés, mais pour réaliser la volonté suprême de notre conscience révolutionnaire. Notre combat contre les charognards patriotes nous donne le droit sacré de vous appeler, prolétaires de tous pays, d’une voix qui ne tremble pas devant la mort, à l’insurrection contre vos oppresseurs. A l’heure où les vagues de la Baltique se colorent du sang de nos frères, lorsque les eaux sombres se referment sur leurs cadavres, nous élevons notre voix."

Du front intérieur provenaient des nouvelles inquiétantes ; les matelots et les soldats, revenant des campagnes, racontaient dans leurs rapports, qu’à nouveau le coq rouge y avait fait son apparition comme après la révolution manquée de 1905, menaçant de submerger la Russie sous une énorme vague. Trompés dans leur attente des bienfaits du futur maître de la terre russe, l’Assemblée Constituante, les paysans avaient désormais perdu espoir dans les distributions de biens de l’avenir, en l’avènement de ce nouveau maître qui comprendrait et arrangerait tout. Ne constatant aucun changement dans leur destinée après la révolution et ne voyant pas d’autre issue, ils commençaient à piller et à brûler les propriétés de pomestchikis et d’Etat. L’organisation A.S.C. proposa aux Kronstadiens, comme auparavant, de lutter de toutes leurs forces contre cette tendance ; elle proposa aux marins d’entrer dans toutes les organisations locales paysannes et d’influer sur les paysans pour qu’ils n’en viennent pas à ces solutions d’extrême désespoir, et d’opérer la saisie des terres au moyen des soviets de paysans, puis de les faire contrôler et légitimer par les organisations paysannes. La guerre avait détruit une grande partie des chevaux et du bétail, elle avait privé la campagne d’hommes jeunes et solides enrégimentés au front. Il fallait donc travailler la terre collectivement avec le bétail pris aux propriétaires terriens. Mais il ne fallait pas partager la terre dès à présent, car la plupart des agriculteurs étaient au front, le problème de la répartition définitive de la terre ne pouvait se résoudre que sur les principes de propriété collective jusqu’à la fin de la guerre

***

Pendant ce temps, Kronstadt tentait de mener une pratique constructive. L’union des agriculteurs, organisation des ouvriers possédant une liaison avec les campagnes, demanda à tous ceux qui possédaient de la vieille ferraille de la donner pour fabriquer des outils d’agriculture. La commission technique et militaire du soviet céda de même une certaine quantité de métal provenant de vieux matériel militaire (beaucoup de pièces d’artillerie dataient presque de Pierre le Grand. Il en avait accumulé un dépôt colossal). Les ouvriers, membres de l’union, organisèrent un atelier spécial où ils travaillaient pendant leurs loisirs, à raison de plusieurs heures par jour chacun.

Des spécialistes techniciens, des soldats et des matelots les aidaient également. Ils fabriquèrent des faux, des socs de charrue, des clous, des fers à cheval. Tout ce qui était fabriqué était répertorié en listes complètes dans les Izvestia du soviet de Kronstadt. Chaque objet portait l’estampille de "l’Union des Agriculteurs de Kronstadt". On donnait aux agitateurs du soviet, partant dans les campagnes, selon les possibilités, des objets et instruments fabriqués par cette union ; ils étaient offerts aux paysans par l’intermédiaire de leurs soviets locaux.

Cela valut par la suite au soviet de Kronstadt de recevoir une avalanche de lettres chaleureuses, le remerciant et promettant un soutien "à la ville" dans sa lutte pour le pain et la liberté.

C’est alors que fut élaboré le principe des communes de culture. Cette organisation se forma de la façon suivante : un groupe de 10 à 60 citadins, selon le lieu de travail ou de domicile, se mettait d’accord pour une culture commune de la terre.

Il faut préciser que Kronstadt est une petite île, étroite, d’une douzaine de kilomètres de long. La rive faisant face ’t Pétrograd est occupée par la ville, les ports et les jetées. Les parties Nord, Sud et Ouest sont parsemées de fortifications militaires ; dans l’intervalle, s’étend un espace de 3 km. En effet, pendant la guerre, pour des considérations stratégiques, même les petites constructions qui s’y trouvaient furent détruites. C’est cet endroit qui fut cultivé par les Kronstadiens. Lors d’assemblées générales de délégués des cultivateurs, en présence de toutes sortes de spécialistes au nombre desquels des géomètres et des agronomes, la terre fut divisée en petits lots répartis par un tirage au sort. Les semences étaient fournies par le comité de ravitaillement. Les outils de culture étaient évidemment les plus primitifs : des pelles, des arrosoirs, (% t encore en nombre limité. Ils étaient fournis pour la saison de travail par la ville. Le reste fut obtenu par l’initiative personnelle des "communards". L’engrais é tait amené par les chevaux de la ville ; les lopins de erre étaient labourés à tour de rôle.

Déjà en 1918, les communes de culture aidèrent beaucoup les Kronstadiens dans la lutte contre la faim. Après la récolte, après le décompte en faveur des familles du comité de ravitaillement, chaque "communard" obtenait en moyenne 10 kg de légumes. Dans la majorité des communes, la répartition se faisait selon le nombre de jours de travail.

Les communes s’avérèrent vivaces : elles existaient toujours sous la même forme en 1921. Ce fut la seule organisation que les bolchéviks n’avaient pas supprimée. On peut expliquer cela, peut-être, par le fait que Kronstadt s’opposa fortement aux décrets des bolchéviks et défendit longtemps son indépendance.

La surveillance de la ville était assurée par la milice populaire, c’est-à-dire toute la population, par le biais des comités de maison.

Les comités de maison n’existaient qu’à l’état embryonnaire. Tout leur rôle se limitait à ce cadre étroit. Mais la propagande faisait son oeuvre. Aux meetings et aux conférences des A.S.C., une des tâches continuellement à l’ordre du jour était la liquidation de la propriété privée des habitations. Ils appelaient à l’élargissement de l’activité des comités de maison, à leur union, afin de réaliser par là l’égalité de tous dans la répartition des demeures. Comme toujours, lorsqu’étaient traitées les questions d’une actualité brûlante — la guerre et la paix, la terre, les organisations ouvrières et paysannes — de nombreuses questions écrites étaient posées à l’orateur ou au rapporteur, que ce soit sur le plan théorique ou sur le plan pratique. Beaucoup se plaignaient de la dégradation des maisons, de l’endommagement des conduites d’eau ; ils décrivaient des scènes pénibles : la pluie passant par les toitures trouées et faisant régner une humidité persistante dans les appartements du sous-sol ce qui provoquait une forte mortalité infantile. Les propriétaires n’avaient pas fait de réparations depuis plusieurs années.

Il ne restait qu’une solution : s’y installer tous ensemble. Ainsi, lorsqu’en octobre, se précisa l’immense possibilité d’un travail créateur et indépendant, un processus préparateur s’était déjà accompli dans la conscience des masses et un meeting solennel décida de la socialisation des habitations.

Pour Kronstadt cependant, la tâche principale subsistait : progager le plus possible ses idées à travers toute la Russie et se tenir prêt à un éventuel conflit armé avec la réaction extérieure et intérieure. Ces buts étaient confiés à des organes techniques deux commissions spéciales du soviet, l’une technico-militaire, l’autre d’agitation propagandiste.

La commission technico-militaire, qui existait de façon embryonnaire depuis le 3 juillet, effectua un grand travail durant les journées korniloviennes et développa désormais son activité. Elle vérifia la capacité de combat des ports, fit un inventaire précis des forces armées. Le mot d’ordre d’armement général se réalisa au moyen des comités de fabrique et d’usine. La commission technico-militaire fournit des armes à tous les ateliers les comités de fabrique et d’usine en assurèrent la distribution aux ouvriers. Pour l’instruction militaire, tous les ouvriers se divisèrent en plusieurs catégories : ceux qui savaient manier un fusil s’organisèrent en groupes spéciaux de formation d’artilleurs, de mitrailleurs et de sapeurs ; ceux qui étaient novices en la matière militaire s’exercèrent d’abord à la marche deux fois par semaine sur la place de l’Ancre, puis s’instruisirent sur les champs de tir maritimes. Chaque ouvrier s’assigna le but d’assimiler l’art du maniement de fusil et des bombes à main.

Vers la fin de 1917, des unités ouvrières de combat avaient été formées. Outre cela, la commission fit le compte des transports maritimes, de tout ce qui pouvait servir au transport, et les fit remettre en état.

La commission technico-militaire se composait de 14 membres représentant le soviet, l’union des ouvriers des transports maritimes, les navires de guerre et les ports, Des commissaires furent envoyés dans les principaux ports pour assurer la liaison avec la commission technico-militaire et surveiller la capacité de combat des ports.

La commission d’agit-prop s’occupa de tout l’aspect technique du travail d’agitation et de propagande à Kronstadt et dans l’ensemble du pays. Chaque jour, les forts réclamaient des conférenciers et des rapporteurs, car ils étaient situés à une certaine distance de Kronstadt ( de 2 à 30 km) et les équipages ne pouvaient pas venir tous ensemble en ville. Ils n’assistaient ainsi que très rarement aux assemblées générales de Kronstadt. La littérature politique anarchiste, socialiste et technique, surtout en matière d’agriculture, se diffusait largement. Chaque soldat se constituait sur son pécule une bibliothèque personnelle, avec l’intention de l’emporter plus tard au pays. Maintenant encore, il n’est pas surprenant de rencontrer dans les coins les plus reculés de Russie des brochures de propagande et des livres d’intérêt général, portant le tampon de Kronstadt, ayant échappé donc à tous les raids et toutes les perquisitions tchékistes.

Les cadres propagandistes étaient désignés de la façon suivante : chaque atelier, chaque compagnie, chaque navire militaire pouvait envoyer des agitateurs en province. Celui qui désirait partir le faisait savoir lors d’une assemblée générale sur son lieu de travail. Si sa candidature ne rencontrait pas d’objection, alors le comité de fabrique, d’usine ,de régiment ,de navire, etc. lui délivrait un mandat à présenter à la commission d’agit-prop et devant être confirmé par le soviet. Si, à la séance du soviet, la candidature ne rencontrait pas d’opposition et si le candidat ne déclarait pas des intentions pouvant compromettre la position révolutionnaire de Kronstadt, alors la commission d’agit-prop lui délivrait un mandat au nom du soviet de Kronstadt, qui lui servait de laisser-passer en province et sur les chemins de fer.

Comme indiqué plus haut, les agitateurs, selon les possibilités, recevaient des outils agricoles, fabriqués par l’Union des Agriculteurs de Kronstadt. Ces outils étaient des présents à offrir aux paysans par l’entremise de leurs soviets. Les moyens financiers nécessaires au travail d’agitation et de propagande étaient pris dans la caisse du soviet, constituée de souscriptions volontaires des ouvriers sur leurs salaires.

La commission technico-militaire et celle d’agit-prop rendaient compte de leurs activités à la séance générale du soviet et aux meetings. Là, elles recevaient des directives d’orientation.

***

Au "centre", tout tournait autour du problème du pouvoir. Le comité central exécutif des soviets décida de réunir une assemblée de "toutes les forces vives du pays". Cette assemblée "démocratique" devait être constituée de représentants des municipalités, des zemstvos, des comités de ravitaillement, etc., une petite place fut réservée aux soviets. La véritable "démocratie" appelait avec insistance à résoudre la question du gouvernement de coalition.

Cette assemblée "démocratique" s’ouvrit le 14 septembre ; la plupart des délégués venaient des cercles petits-bourgeois ou de la démocratie modérée. Un représentant du prolétariat de Pétrograd y déclara : "Nous tenons à rappeler que nous avons supporté tout le fardeau de la révolution sur nos épaules, aussi nous vous avertissons que poser la question d’une coalition signifie amener la révolution devant la menace d’un nouveau Kornilov." Cependant à l’assemblée "démocratique" la voix des ouvriers résonnait dans le désert.

Par 766 voix contre 688, la coalition avec la bourgeoisie fut décidée, à la seule restriction des cadets. Le problème du pouvoir n’ayant pas été tout à fait résolu ainsi, l’assemblée désigna, parmi ses membres, un "pré-parlement" qui devait former avec l’équipe gouvernementale précédente un nouveau gouvernement responsable devant l’assemblée démocratique.

Le social-démocrate Tsérételli déclara que "dans le cas de nominations d’éléments hostiles au gouvernement, la composition du pré-parlement devrait être complétée à l’aide de délégués de groupes bourgeois" parmi lesquels on sous-entendait de nouveau les cadets. Il était évident que ce pré-parlement n’augurait rien de bon. En réponse aux "combines gouvernementales", les Kronstadiens commencèrent à se préparer au combat contre la réaction.

Le gouvernement de Kérensky, avec le déclenchement des actions militaires dans la mer Baltique, décida de se transporter à Moscou. Cela souleva une vague d’indignation parmi les marins. Ils déclarèrent "que celui qui prônait la guerre à outrance devait aller le premier au combat et tant que Pétrograd serait menacé par l’ennemi, ils ne laisseraient pas partir les "criards".

Les marins ajoutèrent que ceux qui "ne régnaient que par la grâce d’une grande patience de la Révolution", ne répondaient pas à toutes les exigences du peuple pour mener une ligne politique internationale en faveur d’une paix générale. Au lieu de cela, ils continuaient à répandre le cliquetis des armes et provoquaient ainsi chez les travailleurs occidentaux l’incompréhension des buts et du caractère de la Révolution russe. S’ils rendaient possible par cela même l’offensive des impérialistes allemands contre la Russie, alors ils n’arriveraient pas à présenter en victimes les marins et ouvriers révolutionnaires, qui tomberaient à la suite de cette nouvelle tuerie, dont, personne ne voulait et que Kérensky et Cie avaient provoquée, peut-être intentionnellement, pour étrangler le mouvement révolutionnaire. Dans ces conditions, ils devaient eux-mêmes risquer leur tête dans le combat.

Le Soviet de Kronstadt envoya une délégation à Helsingfors et en d’autres endroits, où mouillait l’escadre de la Baltique. La délégation fit le tour de tous les navires, s’assurant de l’accord et du soutien total des marins en vue d’une action révolutionnaire.

Au début d’octobre, il y eut à Kronstadt, un congrès des soviets de la province de Pétrograd, se déroulant sous le mot d’ordre : "Tout le pouvoir aux soviets locaux." Un menchévik internationaliste, délégué du soviet de Pétergovsk, fit une intervention en faveur de l’Assemblée Constituante ; il répéta encore une fois toutes les illusions concernant la possibilité de différer toute l’activité révolutionnaire jusqu’à l’Assemblée Constituante, en vivant dans l’espoir de la résolution "par le haut" de toutes les questions en souffrance ; il omit de dire que la réaction, elle, avec l’aide de Kérensky, emploierait tous les moyens pour arriver au pouvoir. Les bolchéviks, quant à eux, jouaient à la "Politique" ; ils applaudissaient avec zèle les interventions des A.S.C. contre l’Assemblée Constituante, mais n’exprimaient pas eux-mêmes ni leur position vis-à-vis de l’Assemblée Constituante ni sur les problèmes du jour. Ils ne faisaient que démentir les bruits qui circulaient sur leurs préparatifs d’un coup d’état, en se référant à la ligne adoptée lors de la dernière conférence du parti à Pétrograd.

En conclusion, le congrès désigna deux délégués au congrès régional de Soviets, les mandatant pour défendre le mot d’ordre : "Tout le pouvoir aux soviets locaux."

Au congrès des soviets de la région du Nord, face au danger constitué dans la Baltique par les réactionnaires et les impérialistes étrangers, un comité militaire révolutionnaire se créa. Le délégué de Kronstadt, un S.R. maximaliste, en fit partie. Le principal dirigeant fut le bolchévik Antonov-Ovséenko. Le comité lança un appel en ces termes : "Dans les intérêts de la défense de la révolution, nous désignons des commissaires auprès des unités militaires disposées aux points stratégiques de la ville et des environs. Les ordres et dispositions du gouvernement concernant ces points-clés, ne doivent être appliqués que sur confirmation des commissaires. Les commissaires en tant que représentants du soviet bénéficient d’une immunité vis-à-vis du gouvernement."

De son côté, Kronstadt se prépara pour le congrès des soviets de toute la Russie. Les principales exigences du jour furent les suivantes :

"Tout le pouvoir aux soviets locaux." "A bas la tuerie capitaliste."
"Libération de tous les révolutionnaires emprisonnés."
"La terre immédiatement aux paysans, les usines aux ouvriers."

Aux meetings, conférences et assemblées, la plupart des interventions insistaient sur le fait que Kérensky n’accepterait jamais ces exigences, qu’il était trop corrompu par le pouvoir. Au début de la révolution, les Kronstadiens l’avaient beaucoup apprécié, mais maintenant, disaient les matelots "il rassemble déjà des forces spéciales et sûres ; il s’entoure de bataillons de choc féminins (!) et pousse à la guerre "jusqu’au boutiste". Si le congrès reprend les exigences des travailleurs, il se fera alors disperser et Kérensky écrasera tous les récalcitrants à l’aide de la force armée ; aussi, fallait-il se tenir prêt à cette éventualité. Les membres du comité militaire révolutionnaire de Pétrograd vinrent à Kronstadt préparer l’organisation commune d’une manifestation armée le jour de l’ouverture du congrès. Le soviet de Kronstadt accepta cette proposition et le meeting de masse l’approuva en ajoutant seulement, "qu’instruits par l’expérience amère du 3 juillet, les Kronstadiens n’avaient plus l’intention de "jouer" à la manifestation armée, mais si cela était nécessaire, ils iraient plutôt en unités solides de combat, avec de l’artillerie, des mitrailleuses et leurs navires de guerre".

Le soviet de Kronstadt envoya un message radio codé au soviet d’Helsingfors et à toutes les unités de l’escadre de la Baltique, les informant de la situation. Il reçut une réponse précisant qu’au premier signal, plusieurs torpilleurs viendraient à Kronstadt et un détachement de marins se rendrait par le train à Pétrograd.