Bandeau
les révolutions de 1917 à 1921
La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

Un chapitre du mouvement révolutionnaire en Allemagne, 1918-1919
LA RÉVOLTE DE WILHELMSHAVEN
Ernst Schneider (Ikarus) - 1944

Extraits du texte original qui se trouve en bas de l’article.

En 1916, leporte-parole des sociaux-démocrates, annonçait au parlement allemand : « La paix qui semble possible aujourd’hui laissera l’Allemagne et ses alliés dans les yeux de l’Europe comme un groupe de pouvoirs,dont la sphère de contrôle économique s’étend depuis les marches de l’Elbe jusqu’aux eaux du GolfePersique. Ainsi l’Allemagne aura gagné par ses armes le noyau d’une grande sphère de contrôle économique, digne d’être considéré comme un territoire économique fermé aux côtés de ceux des autres empires mondiaux ».Cette déclaration patriotique reçut la réponse du socialiste révolutionnaire Karl Liebknecht – un conscrit àcette époque – lors d’une manifestation illégale, mais très ouverte, à Berlin le 1er mai 1916 avec le slogan« À bas la guerre ! L’ennemi principal est dans notre propre pays ! » [Der Feind steht im eigenen Land !].Karl Liebknecht, bien que député, fut condamné à 6 années d’emprisonnement. Mais sa voix fut entendue dans les ateliers de l’industrie de guerre, aussi bien que sur les fronts et dans les unités navales en mer.

Le Comité Secret de la Flotte de la Mer du Nord et de la Base Navale deWilhelmshaven

L’Appel de LIEBKNECHT ne fut pas vain. Il encouragea les forces d’opposition à la guerre.

À bord des croiseurs, des destroyers, des torpilleurs et d’autres petites unités navales de combat, une campagne murmurante eut lieu parmi les marins et, de temps en temps, des acclamations ; Es lebe Liebknecht ! -[Vive Liebknecht !]. Pendant ce temps, des signaux furent envoyés par un comité secret, connu plus tardcomme le Comité Révolutionnaire, ou, plus court, RC. Le Comité donna des instructions précises, des avertissements, de l’information et ces signaux passèrent rapidement de bouches en bouches au sein d’une certaine alliance. Aucun membre ne connaissait plus de 2 camarades, un à gauche et un à droite, commeles maillons d’une chaîne. Le premier maillon était connu par seulement un camarade – le Comité.Sous la couverture des longues histoires de marins, dans les ponts inférieurs, dans les vestiaires, les chambres à munitions et même dans les toilettes, une organisation clandestine fut construite, dont les actions tendaient vers l’arrêt de la guerre impérialiste et le renversement de la monarchie semi-féodale.Les exemples mis sur pied par cette organisation clandestine sont d’une importance historique.En plus de l’organisation du RC apparurent quelques exemples de propagandistes pacifistes individuels qui furent presque détruits par l’exécution de deux inoffensifs objecteurs de conscience, les marins Reichpietsch et Köbes. Quels qu’aient été leurs motifs, leur lutte faisait partie de notre propre lutte et en conséquence ils moururent pour nous et pour notre cause. Dans cette relation, c’est un fait qu’un représentant de l’un de ces infortunés marins consulta quelques importants députés sociaux-démocrates et qu’ils lui montrèrent la porte. Les députés sociaux-démocrates n’étaient pas intéressés. Cependant l’agitation augmentait parmi les marins de la Flotte.

Une purge dans les équipages de certains navires fut ordonnée par les commandants de la Flotte, mais la croissance du mouvement était trop avancée pour les mesures prises par les autorités navales, et la purge fut sans aucun doute plus une nuisance qu’une sinecure ! Les suspects – toujours les mauvais, bien sûr – durent rapidement évacuer leur Stammkompanie [caserne navale]. De là, des milliers de marins furent expulsés vers la division de Marine sur la côte de sFlandres [considérée comme une « division de punition » - l’armée britannique avait aussi les siennes].En mars 1917, des tracts écrits en majuscules d’imprimerie, signés par le comité, furent distribués par les hommes du 3ème régiment de marins. Plus tard, des réunions de marins furent tenus au Parc des quartiers Est. Ces réunions étaient bien sûr illégales, mais elles étaient bien protégées. Sans aucun doute, lemouvement clandestin dans la Marine ne s’arrêtait pas aux passerelles et aux échelles des navires deguerre !Un Radical de Gauche, membre du mouvement, alors qu’il venait de partir à Hambourg en avril1917, fut l’un des 18 participants à une rencontre secrète arrangée par une camarade de Hambourg, qui se tint dans les bois près de Gross Borstel Zum grünen Jäger. Le résultat de cette rencontre fut un journal de grand format adressé aux femmes ouvrières dans les industries de guerre et aux soldats. Deux jours plus tard, après que 5 000 tracts aient été diffusés parmi les gens et placardés sur les murs et les bâtiments, des grèves spontanées se produisirent dans les industries de guerre. Des douzaines de grévistes et de distributeurs de tracts furent arrêtés et emprisonnés. Il faut noter que nos amies actives àHambourg étaient toutes des femmes ouvrières dans les industries de guerre, des sténodactylos etc… qui placardaient les journaux. Beaucoup de ces héroïnes et camarades, tout comme l’imprimeur, un ntrepreneur qui n’était pas membre du mouvement, furent condamnés à l’emprisonnement..

Nos sacrifices étaient lourds. Mentionner les propres sacrifices personnels de quelqu’un serait indu. Un combattant a l’obligation de combattre et de souffrir. Le faire pour la cause est comparativement léger.« C’est une vérité que nous devons lutter pour la paix, car dans le cas contraire, ce sera la paix descimetières, la paix qui pressera l’Europe et d’autres parties du monde dans une nouvelle ère de sombreréaction » [Rosa Luxemburg]. Notre tâche ne pouvait consister qu’à doubler nos activités dans le mouvement à bord des navires de guerre et à terre. .En juillet 1917, un exemple fut donné par les marins d’une escadre menée par le croiseur de bataille Prinzregent qui était à l’ancre dans le bas de l’Elbe, à l’ordre « Levez l’ancre, tout le monde aux postes decombat », quelques signes et gesticulations furent effectués par les marins, mais pas un geste ne fut fait pour obéir aux ordres. Leur propre ordre « Feux éteints » (« Fires out », [1] s’avéra plus puissant que ceux des chefs de la Flotte. Des centaines de marins furent condamnés à l’emprisonnement pour des durées de une à quinze années. Cet événement, et l’attitude de l’Amirauté, montrèrent clairement l’état de la situation générale. Furie et excitation parmi les autorités, mais une ardente détermination dans les rangs inférieurs.De nouveau les marins avaient montré qu’ils n’étaient pas réticents devant la résistance armée. Ils savaient qu’ils pouvaient réussir seulement par une action concertée des marins de la Flotte dans leurensemble, en collaboration étroite avec leurs camarades de l’armée terrestre et des industries. Les théoriciens qui exagèrent la différence entre la théorie et la réalité vécue peuvent s’égarer, mais rarement les combattants pratiques. La perspective de ces derniers était correcte.

En janvier 1918 se produisirent les grèves spontanées dans les industries de l’armement, suivies par le pillage des boulangeries dans le Reich. Puis il s’en suivit des mois d’un silence remarquable. C’était le silence avant la tempête.Vers l’été, une rencontre eut lieu à l’Edelweiss, la plus grande salle de bal de Wilhelmshaven. La rencontre était protégée par des colonnes du mouvement clandestin de la Flotte. C’était tard le soir. La salle de bal était remplie de marins, de filles et de quelques civils. L’orchestre avait quitté la scène durantl’entracte lorsque soudain le grand rideau de la scène tomba et des cris furent entendus « Restez où vous êtes, ne bougez pas ! ». Ensuite, de derrière le rideau, fut entendu une grosse voix, impressionnante et convaincante, « … nous sommes à l’aube d’évènements décisifs. Il n’y aura enfin plus de guerre, plus d’oppression des masses laborieuses et souffrantes… mais nous devons nous battre, durement, longtempset farouchement. Pour la cause, pas d’imprudences. Notre jour arrive ».Il vint.

Ici se termine un chapitre, mais un chapitre seulement, de l’histoire du prolétariat révolutionnaire de la mer.