Asservis politiquement et économiquement aux propriétaires fonciers, journaliers, domestiques et petits paysans se trouvaient, avant la guerre, désorganisés, sans initiative révolutionnaire. Deux anarchistes, Etienne Varkonyi et Eugène Schmidt s’efforcèrent de remédier à cette situation. Fils d’agriculteur, longtemps maquignon, Varkonyi adhéra au parti social démocrate dont le réformisme l’écoeura et qu’il abandonna en 1896.
Influencé par le communisme libertaire, il fonda l’Alliance Paysannequ’il dota d’un journal « A Földemüvelo »(Le Paysan). Il entra en lutte contre les socialistes qui, après avoir tenté d’assujettir les syndicats industriels, s’efforçaient de gagner la sympathie des ruraux, dans un but électoral. Le 14 février et le 8 septembre 1897 à Czegled, Varkonyi tint deux congrès dans lesquels il définit son programme. Ayant manifesté son mépris pour la démocratie parlementaire et démontré la vanité du suffrage universel, même secret, il déclara que les terres ne devaient pas être morcelées entre les paysans valides comme le suggéraient les marxistes, mais communalisées et cultivées en commun. Afin de préparer l’expropriation des seigneurs fonciers et d’éduquer économiquement les campagnards en leur donnant confiance dans leur force, il fallait établir immédiatement des instituts coopératifs, des syndicats et recourir à la grève générale.
Aidé d’Eugène Schmidt, disciple de Tolstoï, Varkonyi prépara, en 1897, la première grève paysanne hongroise. A l’époque de la moisson, les paysans refusèrent de servir si l’on n’augmentait pas le taux des salaires. Les propriétaires furent tellement surpris par le mouvement et acculés à la ruine qu’ils insistèrent auprès du gouvernement pour que l’on fit venir des émigrants asiatiques. Les autorités préférèrent recourir à la force armée et à la compression législative. La troupe contraignit les paysans à moissonner ; on emprisonna six mille grévistes ; les députés, tous propriétaires fonciers, édictèrent contre l’Alliance Paysanneet les grévistes agricoles les fameuses lois de 1898, connues sous le nom de « Lois Scélérates ». En 1904, Varkonyi reprit l’agitation, mais parmi les seules populations de la Plaine. Le nouveau mouvement s’éteignit rapidement.
Eugène Schmidt, séparé de Varkonyi après les événements de 1897-1898 fit alors de la propagande communiste parmi les sectateurs nazaréens. Les Nazaréens commencèrent à prendre de l’importance en Hongrie vers la fin du dernier siècle. Partisans résolus de la non-violence, ils refusaient de porter les armes et, pour ce motif, entraient en conflit perpétuel avec le Ministère de la guerre. Tous cultivateurs, ils se montraient d’une grande douceur avec leurs bêtes et travaillaient d’ordinaire pour le compte de propriétaires qui, profitant de leur résignation mystique, abusaient odieusement d’eux. Eugène Schmidt substitua à leur idéologie imprécise et sentimentale un substantiel programme économique. Il leur montra les avantages du communisme et leur recommanda, comme moyens d’expropriation pacifique, la grève générale et la résistance passive. En 1919, les nazaréens comptaient environ 18.000 adeptes en Hongrie ; ils furent dans les campagnes les auxiliaires précieux des communistes. Eugène Schmidt partit ensuite pour l’Allemagne où il vécut le reste de sa vie, imaginant la philosophie gnostique, mélange curieux d’individualisme libertaire et de religiosité.
Un valet de ferme natif d’Oroshàza, Sandor Csizmadia tenta de réorganiser le prolétariat agricole en lutte contre les propriétaires. Poussé par la misère qui sévissait dans son département, il abandonna sa métairie et devint cheminot. En 1894, il fut emprisonné pour propagande anarchiste ; on l’incarcéra d’une manière presque continue jusqu’en 1904. Dans son cachot, il apprit à lire et à écrire. Il se révéla bientôt poète et écrivit ses Chants du Prolétaire(Proletarkoltemenyck) et A l’Aurore(Hajnel’ban) qui rendirent son nom célèbre. Il décrivit en termes émus la détresse des paysans. Puis, il lança cette Marseillaise des Travailleurs,l’hymne révolutionnaire magyar, que clamait la foule révoltée exigeant en novembre 1918 l’abdication du Roi et le départ de l’homo régius. Le 13 décembre 1905, Csizmadia et ses amis constituèrent l’Union des Travailleurs campagnards. Cette organisation prit rapidement une extension considérable. En mai 1906, elle comptait 300 groupes et 25.000 membres ; en janvier 1907, 350 groupes et 40.000 membres. Au Congrès de Pâques de cette même année, elle avouait 552 groupements et 50.000 membres. En août 1907, 75.000 syndiqués se réunissaient dans 625 groupes. Sentant leur force, journaliers et domestiques se mirent en grève et réclamèrent avec une augmentation des traitements, la révision des pactes les liant aux propriétaires. Quatre mille paysans furent arrêtés et, pour contraindre les domestiques à respecter les clauses des contrats, le gouvernement édicta une loi obligeant les serviteurs à remplir fidèlement leurs engagements sous peine de 400 couronnes d’amendes ou 60 jours de cellule. Enfin, bien que l’Union eut été dûment autorisée, le 7 janvier 1906, elle fut complètement dissoute en 1908 par ordre d’Andrassy, ministre de l’Intérieur. Csizmadia, arrêté en 1906 puis relâché fut inquiété de nouveau ; il parvint à disparaître quelque temps. Jusqu’à la guerre, il poursuivit sa propagande et collabora aux divers journaux révolutionnaires. Un de ses amis Waltner, plus connu sous son prénom de Jacob reconstitua les syndicats agricoles qui se disloquèrent en 1914.
L’activité des militants communistes libertaires dans les campagnes obtint un double résultat :
1° La situation des paysans s’améliora légèrement après chaque soulèvement. Malgré la ruine des organisations corporatives, le taux du salaire nominal s’accrut comme le témoigne ce tableau.
Salaires des journaliers (par jour) En 1884 Avant la grève durant l’hiver Kcs : 1,12
durant les moissons Kcs : 1,76
En 1898 Après la grève durant l’hiver Kcs : 1,25
Durant les moissons Kcs : 2
En 1905 Avant la grève durant l’hiver Kcs : 1,36
Durant les moissons Kcs : 2,27
En 1905 Après la grève durant l’hiver Kcs : 1,42
Durant les moissons Kcs : 2,45
Salaire des domestiques (par an) En 1905 Avant la grève (nature et espèces) Kcs : 355
En 1908 Après la grève ("" "") Kcs : 430
On remarque qu’après chaque grève, le salaire nominal des journaliers s’est élevé, mais dans de plus fortes proportions à l’époque des moissons.
En effet, durant l’hiver, les propriétaires, ne ressentant pas le besoin immédiat d’ouvriers, n’augmentent les traitements que dans une mesure restreinte. Mais au temps des récoltes quand ils ne peuvent absolument pas se passer de journaliers et que ceux-ci, le comprenant, menacent de ne pas lever le blé, afin d’éviter la faillite et d’apaiser leurs aides, les seigneurs sont contraints de hausser notablement le taux des appointements. Les domestiques ne participèrent pas à la coalition des journaliers en 1897.
Leurs gages atteignaient à ce moment une moyenne annuelle de 320 Kcs. Attachés non seulement comme les journaliers aux propriétés mais encore à la personne de leurs maîtres, ou de ses intendants, leur situation restait misérable d’autant qu’ils ne pouvaient se révolter sous peine de manquer d’ouvrage et de se voir emprisonner. Néanmoins, après qu’ils eurent été enrôlés et surtout éduqués par Csizmadia, ils entrèrent aussi en conflit avec leurs patrons, en 1907. Ils en retirèrent un accroissement de gains de 25 % environ.
2° Par suite de l’influence des anarchistes et de l’activité des organisations fondées par leurs soins, la propagande marxiste n’eut aucune prise sur les paysans. Aussi la politique agraire pratiquée par la Commune Hongroise différa-t-elle totalement de celle que suivirent les bolchevistes russes
A la tête du commissariat de l’agriculture rattaché par la suite au Conseil Economique se trouvèrent Csizmadia et Georges Nyisztor, aidés d’Eugène Hamburger et de Charles Vantus. Un front immense, des yeux pleins d’astucieuse bonhomie, une courte bouffarde continuellement plantée entre des dents solides au coin droit de la bouche, une abondante moustache noire an broussaille, l’allure trapue, la démarche pesante d’un paysan qui semble emporter à ses bottes les mottes du champ qu’il vient de labourer, tel se présentait Nyisztor, hier encore paisible cultivateur de la plaine. Ancien secrétaire général du parti social-démocrate, Hamburger s’était depuis longtemps spécialisé dans les questions agraires. Vantus, commis d’une caisse mutualiste, le secondait.
Moins de quinze jours après leur nomination, les commissaires publièrent, le 4 avril, cet avis :
1° La terre hongroise appartient à la communauté des travailleurs ; qui ne travaille pas ne peut en jouir.
2° Toutes les grandes et moyennes propriétés accompagnées des bâtiments, cheptel et matériel aratoire reviennent, sans rachat, à la communauté.
3° La petite propriété devient avec la maison et les dépendances annexes simple possession de celui qui jadis en était propriétaire. Le commissariat de l’Agriculture décidera en tenant compte des conditions locales des propriétés à classer comme grandes et moyennes.
4° Les individus ne pourront se partager les propriétés des communautés.
5° Les propriétés des communautés sont administrées par des Coopératives. Pourront devenir librement membres de ces Associations de production les personnes des deux sexes qui consacreront à la production un certain nombre de journées de travail. Chacun recevra une part du revenu proportionnel à son travail.
6° L’organisation des Coopératives sera réglée dans le détail ultérieurement.
7° Le commissariat de l’Agriculture dirigera techniquement, par l’entremise des Conseils locaux, la mise on
valeur des propriétés.
Ainsi se manifestait officiellement la volonté du nouveau régime de constituer le communisme agraire sous forme de Coopératives ou de Syndicats de production. Les bolchevistes russes, au contraire, après l’échec des socialistes révolutionnaires de gauche, préconisèrent ouvertement la création et le développement de propriétés foncières individuelles et l’abandon de l’exploitation collective du Mir. Ils espéraient, par l’intérêt particulier et l’amour avare du sol, inciter les paysans à pratiquer la culture intensive et à accroître de la sorte le rendement de la production. Ils tombaient dans la même erreur que le démocrate Karolyi et devaient se heurter bientôt à l’hostilité des agriculteurs.
En Hongrie, où la concentration foncière était très grande, les paysans n’eurent qu’à exproprier les maîtres des latifonds et instaurer, en place de l’ancienne direction, des Associations de producteurs susceptibles de se doubler postérieurement de Coopératives autonomes de consommation.
Sous l’impulsion d’Eugène Schmidt, des Coopératives de production avaient été fondées en 1899, principalement parmi les cultivateurs de blé et les éleveurs transylvaniens. En 1891, une Association pour l’achat an gros des machines s’instituait. Par la suite, on construisit des écuries et des greniers communs ; on disposa de centres d’instruments agricoles. Par l’entraide, l’eau potable et la lumière pénétrèrent dans les hameaux isolés de la plaine. Des Sociétés de Crédit aux artisans s’établirent. En 1914, trois millions de couronnes reposaient en dépôt dans leurs caisses. Face à ces Coopératives de travailleurs se dressèrent des cartels capitalistes. Et l’activité du plus important d’entre eux, le cartel des porcs, fut l’une des causes économiques de la guerre mondiale : Les grands propriétaires pratiquaient, en vue de la vente et de l’exportation, l’élevage des verrats et gorets, surtout dans les départements de l’Est. Mais les cochons hongrois, de petite taille et d’une lente croissance sont peu prolifiques. Les éleveurs ayant fondé un cartel et ne redoutant pas de concurrence indigène, vendaient aux consommateurs hongrois leurs bêtes à un prix exagéré. Or l’élevage du porc est promu, en Serbie, au rang d’industrie nationale : les porcs serbes possèdent une chair abondante, se reproduisent et croissent facilement. La plupart de ces animaux s’exportaient en Hongrie où leur prix de vente était inférieur à celui des bêtes magyares. Il en résulta une concurrence acharnée entre éleveurs serbes et hongrois qui aboutit à l’établissement par la Hongrie de droits prohibitifs sur l’entrée à la douane des cochons serbes.
La Serbie, lésée dans sa principale branche d’exportation, répondit par la fermeture de ses frontières aux produits hongrois. Néanmoins, malgré la hausse successive des droits qui les frappaient, les cochons serbes continuaient à se vendre, en Hongrie, malgré leur qualité supérieure, à un prix moindre que les magyars. Il s’établit de la sorte entre les deux pays une rivalité économique d’une violence inouïe, l’un des facteurs de l’ultimatum de 1914. Par suite de la concentration des capitaux fonciers, l’usage des engrais et machines destinés à la culture de vastes superficies se répandait beaucoup. Alors qu’on ne comptait en 1871 que 4.409 machines d’un fonctionnement primitif, on en dénombrait en 1915, 48.070 ainsi que l’atteste le tableau suivant :
Charrues à vapeur Tracteurs Machines à battre Moissonneuses-faucheuses
1871 18 ? 2.464 1.927
1895 129 50 9.509 13.329
1915 771 182 28.907 18.210
Dans des propriétés d’étendue restreinte, l’emploi de ces instruments eut été trop onéreux, voire inutile. La gestion de ces machines fut donc confiée à des organismes puissants : les Syndicats de production.
La politique agraire suivie par les révolutionnaires fut communiste. Mais dans l’application, deux méthodes s’opposèrent. certains, tel Hamburger, voulaient placer les terres sous le contrôle direct de l’Etat, organiser mécaniquement l’agriculture, instituer des « usines agraires » dont les travailleurs n’auraient été que les rouages passifs. Ils négligeaient complètement l’amour passionné du sol et l’esprit individualiste des paysans. Les autres, avec Czimadia, désiraient communaliser les biens fonciers, les mettre sous un contrôle local. L’agriculture ne devait pas être considérée comme l’industrie et centralisée ; mais, en maintenant la concentration du matériel, il fallait tenir autant compte des besoins de la commune que des intérêts collectifs. Les paysans conservaient dans l’organisation et le choix de la production une certaine autonomie. Entre les commissaires, le conflit fut assez violent. Etatistes et communalistes s’efforçaient de faire appliquer leur point de vue. Finalement, l’opinion de Csizmadia prévalut ; mais celui-ci dût se démettre de ses fonctions. Un ridicule conflit avec le personnel féminin du Central Télégraphique Pestois servit de prétexte.
On constitua donc dans chaque commune un Syndicat de production autonome, dépendant techniquement de l’Office des Syndicats ruraux. Cet Office reçut d’abord les instructions du Commissariat de l’Agriculture, puis, après le rattachement de ce Commissariat au Conseil Economique, de la section rurale du Conseil. A la tête de chaque Syndicat communal se trouvait un ingénieur agronome. Il était assisté et contrôlé par le Conseil d’Exploitation élu par l’ensemble des paysans composant le Syndicat.
Les conséquences de la politique agraire diffèrent nettement de ceux de la politique industrielle. Les terres furent entièrement cultivées, malgré l’invasion des soldats de l’Entente. Au lieu de constater une diminution de la production comme dans les usines, on remarqua un développement de l’aire d’ensemencement. La récolte estivale opérée malheureusement par les Franco-Roumains fut d’un rendement et d’une qualité supérieurs à la moyenne des années antérieures. Les paysans travaillèrent le sol communal avec un extraordinaire entrain.
Le salaire nominal et le salaire réel s’accrurent dans d’énormes proportions. Un porcher gagna 1.500 couronnes, ce qui, malgré la dévalorisation du numéraire représentait une hausse notable du rapport du gain nominal au coût de la vie. Varga déclara d’ailleurs à ce sujet « Ce furent les ouvriers pauvres des champs qui bénéficièrent de la révolution de Karolyi et du régime prolétarien. Leur niveau d’existence et surtout leur alimentation subirent une amélioration absolument imprévue. Ils obtinrent une hausse rapide des salaires. Et cette hausse fut réelle car elle ne se traduisit pas par l’acquisition d’une plus grande somme d’argent mais par l’obtention de plus de denrées. »
Aussi les domestiques et journaliers se montrèrent les ardents défenseurs du régime. C’est ce qui explique, en partie, qu’à l’encontre de ce qui se passa en Russie, aucun soulèvement paysan spontané n’éclata. Les manifestations réactionnaires eurent toujours lieu, à l’arrière du front franco-roumain, en pays occupé, comme à Arad ou à Szeged. Les régiments campagnards, ceux-là même qui levèrent les premiers la crosse en octobre 1918, composèrent les troupes les plus enthousiastes de l’armée révolutionnaire. Ils lâchèrent pied les derniers. Et, au 15 août 1919, alors que depuis une semaine, les Alliés avaient renversé les Conseils et occupé la banlieue de la capitale, les derniers bataillons ruraux, dispersés dans la plaine, tenaient encore désespérément tête aux Roumains.
Enfin, les sectateurs nazaréens, ces paysans qui, grâce à Schmidt, avaient acquis des convictions communistes en sauvegardant l‘essence pacifique de leur religiosité d’antan, servirent utilement la Commune. En Transylvanie, où ils étaient nombreux, ils tentèrent de résister par la grève aux envahisseurs. En Hongrie, avec les agriculteurs du département de Samozy, ils instituèrent les premiers les Syndicats de production dont ils formèrent les cadres.
Toutefois, vers mai 1919, les grandes villes reçurent soudain moins de denrées de la campagne. Le blocage des cités par les champs commença. Les remèdes préconisée par certains commissaires tels que réquisitions de vivres, impôts et prestations en nature apparurent inopérants, car on ne sut pas immédiatement remarquer le mécontentement des paysans contre les ouvriers. Pendant les premiers mois du régime, les campagnards nourrirent libéralement les travailleurs industriels. En échange, on ne leur remit que du papier-monnaie. Les agriculteurs thésaurisèrent et continuèrent d’approvisionner ; mais l’argent se dévalorisant davantage, conformément au plan communiste, ils se rendirent vite compte du rôle parasite joué par les villes. Ils exigèrent alors que leurs denrées fussent troquées contre des machines aratoires et qu’il y eût un rapport constant d’échange de produits entre les industriels et eux. Malheureusement, la plupart des ouvriers qualifiés, enrôlés dans les bataillons rouges, combattaient sur le front. Les matières premières manquaient. Plus les exigences des paysans croissaient, moins les usines se trouvaient en état de les satisfaire par suite de la désorganisation industrielle et de la pénurie de main-d’oeuvre spécialisée. Les paysans réduisirent les ventes aux villes. Ils cultivèrent pour eux et leurs communes ; ils n’échangèrent leurs produits que contre d’autres produits agricoles, du vin contre du blé, par exemple. Ils se contentèrent des machines d’avant-guerre ; ils revinrent à l’économie familiale et purement rurale. Entre eux et les ouvriers, un fossé se creusa.
Les villes d’elles-mêmes s’efforcèrent de remédier à cette situation. Pour diminuer les conséquences du monopole campagnard, elles tentèrent de mettre en application les idées émises par Kropotkine dans la « Conquête du Pain »,principalement dans le célèbre chapitre des Denrées.Dès le mois d’avril, on laboura les champs de course de Budapest et les domaines de la banlieue. Des vaches furent réunies, près de la capitale, dans de vastes étables promptement édifiées ; les sans-travail, les anciens employés de métiers devenus inutiles, les fonctionnaires licenciés cultivèrent la terre. On mit de multiples moyens scientifiques à leur disposition. Les résultats furent magnifiques.
Pendant la Commune, malgré le blocus exercé par l’Entente et la méfiance des campagnes, les villes furent abondamment pourvues de légumes maraîchers. Conformément au système de rationnement décrit plus haut, la population disposa de laitages et de viande (2 fois par semaine). Certes, il n’y eut presque pas d’oeufs, de volailles ou de graisses animales, en somme de produits de ferme. Mais il n’est pas douteux — une expérience de cinq mois le prouve — qu’une cité et sa banlieue, assiégés économiquement, peuvent, dans une grande mesure, pendant un certain temps, se suffire à elles mêmes et attendre ainsi la fin de l’investissement.
Si Bela Kun avait laissé l’armée repousser les envahisseurs et rejoindre la Russie et la Bavière, s’il avait accompli son devoir révolutionnaire et non singé les diplomates, les ouvriers auraient repris bientôt leur place dans les usines intactes, fabriqué des machines, dissipé les craintes des ruraux et consolidé, avec le prolétariat agraire, l’alliance économique, principal moteur du succès d’une révolution.