Les trois textes suivant Les grèves d’avril 1917, Organisation révolutionnaire des marins. Les grèves de janvier 1918 ont été extrait de l’exceptionnel ouvrage de Pierre Broué La révolutions allemande paru aux Editions de Minuit en 1971. Les notes qui accompagnaient ces textes n’ont pas été reproduites afin d’inciter à se référer au livre lui même.
Les organisations clandestines se préparent à une action de masse dont les conditions leur semblent maintenant réunies. A Berlin, dans les premiers jours d’avril, les militants de Spartakus diffusent un tract appelant à une protestation de masse, citant l’exemple des prolétaires russes qui ont su abattre le tsarisme et fonder une « république démocratique »13.
A Leipzig, un tract, vraisemblablement de même origine, célèbre aussi la révo¬lution russe, et conclut : « Prenez en main votre propre destin ! A vous le pouvoir si vous êtes unis ! » 14 Des arrêts de travail se produisent à Hambourg, Magdebourg, Brême, Nuremberg. A Berlin, les délégués révolutionnaires jugent le moment venu d’une action qui permettrait une première mobilisation de masses et, à une étape ultérieure, les conditions d’un élargissement de la plate-forme d’action et du front des travailleurs engagés : ils décident d’utiliser une assemblée du syndicat des métaux de Berlin, fixée au 15 avril, pour y faire adopter une décision de grève en vue de l’amélioration du ravitaillement ". Informés de ce qui se trame, les responsables de l’ordre font discrètement arrêter, le 13, Richard Müller, l’organisateur clandestin des métal¬los révolutionnaires, le responsable syndical officiel des tour¬neurs 16. La nouvelle ne sera connue des ouvriers que le jour de l’assemblée.
A cette date, un mouvement est déjà engagé à Leipzig. Le 12 avril, des femmes ont réclamé du pain dans une manifes¬tation devant l’hôtel de ville et la police a arrêté seize manifes¬tantes. Le 13, le gouvernement saxon appelle à accepter dans le calme des mesures inévitables de restrictions. Mais le 14, plus de 500 ouvriers convergent vers l’hôtel de ville afin d’y réclamer une amélioration du ravitaillement : ils sont reçus et on leur promet que des mesures seront prises ".
Le 15 au matin, on annonce la réduction de la ration de pain hebdomadaire de 1 350 à 450 grammes : la nouvelle est encadrée par des communiqués célébrant les brillants résultats de la guerre sous-marine ". Quand les métallos se réunissent, ils sont décidés à passer à l’action : Cohen et Siering n’hésitent pas à prendre les devants et proposent la grève pour le lendemain, 16, afin d’obtenir une amélioration du ravitaillement ". Les délégués révo¬lutionnaires sont pris de vitesse. Ils approuvent donc l’initiative des dirigeants, mais demandent en outre la poursuite de l’action jusqu’à la libération de Richard Müller. Cohen rétorque qu’il ne peut endosser seul la responsabilité de la direction d’une action aussi difficile : il demande et obtient l’élection d’un comité de grève qui sera chargé, avec lui, des négociations .
Le 16, le Vorwaerts, sans condamner la grève, met cependant en garde contre le danger qu’une agitation ferait courir à la « politique de paix » qui selon lui s’esquisse. « L’espoir fou qu’on pourrait connaître des événements semblables à ceux de Russie » risque, selon le quotidien social-démocrate, de « coûter la vie à des centaines de milliers d’hommes sur les champs de bataille » ". Dans toutes les usines, cependant, se tiennent des assemblées générales. A 9 heures, 300 entreprises sont en grève, les syndicats annoncent un total contrôlé de 200 000 grévistes, le chiffre réel étant vraisemblablement de l’ordre de 300 000 Les rues commencent à être parcourues de cortèges qui se for¬ment spontanément sur des mots d’ordre divers, souvent politiques. Le comité élu se réunit au local des syndicats, désigne une commission restreinte : aux côtés d’Alwin Kiirsten, représentant la commission générale des syndicats et des dirigeants des métaux Cohen et Siering, siègent huit délégués des entreprises, dont deux au moins, Otto Tost, de Schwartzkopf, et Franz Fischer, de la D. W. M., sont membres du noyau révolutionnaire clandestin ". La délégation qu’ils constituent est immédiatement reçue par le commissaire au ravitaillement, Michaelis. Ce dernier promet la formation d’une commission municipale du ravitaillement où les syndicats seraient représentés. Les délégués ouvriers demandent la garantie qu’aucune sanction ne sera prise et exi¬gent la libération de Richard Müller : le commissaire les renvoie alors aux autorités militaires.
L’entretien a duré cinq heures .
A Leipzig, les événements ont pris une tournure identique. Au matin du 16, des tracts manuscrits ont été diffusés dans presque toutes les entreprises, appelant les ouvriers à se réunir à l’heure du déjeuner pour y décider la grève ". L’agitation qui se poursuit dans les usines pendant toute la matinée décide les responsables syndicaux à prendre une initiative : le syndicat des métaux appelle à un rassemblement dans le Brauereigarten, à Leipzig-Stotteritz. L’arrêt de travail est général à midi ; à 15 heures, plus de 10 000 ouvriers sont rassemblés pour entendre un discours du dirigeant des métallos Arthur Lieberasch ; celui-ci déclare que la manifestation du 14 a démontré aux responsables qu’il fallait donner aux ouvriers la possibilité d’exprimer leurs revendications. Mais il soulève un concert de protestations en proposant la reprise du travail pour le lendemain 26. Une résolution est finalement adoptée dans le tumulte ; elle réclame l’augmentation des rations alimentaires et des attributions de charbon, mais énumère aussi — fait capital — six revendications d’ordre politique : une déclaration du gouvernement en faveur d’une paix sans annexions, la suppression de la censure et la levée de l’état de siège, l’abolition de la loi sur la mobilisation de la main-d’oeuvre, la libération des détenus politiques, l’introduction du suffrage universel dans les élections à tous les niveaux 27. L’assemblée décide que la résolution doit être remise en mains propres au chancelier, à Berlin, par une commission, élue sur-le-champ par acclamations, qui comprend deux responsables du syndicat des métaux et trois représentants du parti social-démocrate indépendant. Une autre assemblée se déroule pendant ce temps au Vorgarten : un ouvrier y célèbre la révolution russe, montre que la manifestation qui se déroule est la preuve qu’il est possible, en Allemagne, d’imiter son exemple ". Le soir, les dirigeants syndicaux s’efforcent de convaincre les autorités qu’elles doivent avant tout éviter une intervention militaire, laquelle donnerait au mouvement un caractère « anarchiste » et leur en enlèverait à eux le contrôle ". A Berlin, le comité de grève maintient sa décision de poursuivre l’action jusqu’à la libération de Richard Müller 30.