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les révolutions de 1917 à 1921
La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

Les grèves de janvier 1918

Les trois textes suivant Les grèves d’avril 1917, Organisation révolutionnaire des marins. Les grèves de janvier 1918 ont été extrait de l’exceptionnel ouvrage de Pierre Broué La révolution allemande paru aux Editions de Minuit en 1971. Les notes qui accompagnaient ces textes n’ont pas été reproduites afin d’inciter à se référer au livre lui même.

En Allemagne, depuis octobre, la combativité des ouvriers ne cesse de croître. Les informations sur les pourparlers de Brest échauffent les esprits. Nombre de militants pensent comme Liebknecht qui écrit de sa prison :
« Grâce aux délégués russes, Brest est devenu une tribune révolutionnaire qui retentit loin. Il a dénoncé les puissances de l’Europe centrale, il a révélé l’esprit de brigandage, de mensonge, d’astuce et d’hypocrisie de l’Allemagne Il a porté un verdict écrasant sur la politique de paix de la majorité allemande, politique qui n’est pas tellement papelarde que cynique ».

Dans la première quinzaine de janvier, Spartakus diffuse un tract appelant à la grève générale, dénonçant l’illusion selon laquelle la paix séparée constituerait un pas vers la paix générale m. Vers le milieu du mois se réunissent en commun les délégués révolutionnaires, la direction du parti social-démocrate indépendant et les députés de ce parti au Reichstag et au Landtag prussien. Richard Müller présente un rapport sur la situation dans la classe ouvrière berlinoise : il conclut à la possibilité de déclencher une grève générale sur des revendications politiques, affirme que les ouvriers sont prêts à la faire, mais qu’ils attendent d’y être appelés par le parti social-démocrate indépendant ". Les participants se divisent et s’affrontent parfois avec violence. Une minorité, dont Strübel se fait le porte-parole, se prononce contre toute action, affirmant que Millier se trompe sur l’état d’esprit des ouvriers qui sont en réalité complètement passifs. La majorité, avec Haase, pense que la grève générale est nécessaire pour imposer la paix, mais refuse de courir le risque de faire interdire le parti, ce qui ne manquerait pas de se produire, selon lui, s’il lançait l’appel à l’action suggéré par Müller. Ces tergiversations ne sont pas du goût de Ledebour et Adolf Hoffmann, qui se déclarent prêts à signer personnellement un appel à la grève si le parti se refuse à le faire’’’. On aboutit finalement à un compromis : un texte rédigé par Haase et appelant à une grève de trois jours " sera signé non du parti en tant que tel, mais de ses députés, et diffusé en tract dans les entreprises 90. Pourtant les députés hésitent encore : la fraction, deux jours plus tard, modifie le texte et en retire toute allusion à la grève 91, quoique les militants du parti continuent à en diffuser oralement le mot d’ordre. Après des négociations infructueuses pour faire imprimer le tract clandestinement par les spartakistes, le texte est finalement publié le 10 janvier 1918. Il déclare notamment :
« Si la population laborieuse n’affirme pas sa volonté, il pourra sembler que les masses du peuple allemand approuvent les actes de la classe dirigeante. (...). L’heure a sonné pour vous d’élever la voix pour une paix sans annexions ni indemnités sur la base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Vous avez la parole »92.
Dans l’intervalle, le cercle des délégués révolutionnaires est passé à la préparation de la grève, dont l’idée est favorablement accueillie dans les usines où circulent les informations sur les grèves d’Europe centrale. Il en fixe le début au lundi 28 janvier, sans le révéler afin d’éviter toute répression préventive ". Cependant dans la semaine qui précède le jour J, un tract spartakiste qui donne des informations sur la vague de grèves en Autriche-Hongrie et « le conseil ouvrier de Vienne élu sur le modèle russe », proclame : « Lundi 28 janvier, début de la grève générale ! »94 Il met les ouvriers en garde contre les majoritaires « jusqu’auboutistes » qu’il recommande de n’élire à aucun prix dans les conseils :
Dans ce climat se tient, le dimanche 27 janvier, l’assemblée générale des tourneurs de Berlin. Sur proposition de Richard Müller, sans cris ni applaudissements, elle décide à l’unanimité de déclencher la grève le lendemain, à l’heure de la rentrée, et de tenir sur place des assemblées générales qui éliront des délégués. Ces délégués se réuniront ensuite à la maison des syndicats et désigneront la direction de la grève : les leçons d’avril 1917 n’ont pas été oubliées ". Le 28 au matin, il y a 400 000 grévistes à Berlin et les assemblées générales prévues se tiennent dans toutes les usines, où les tourneurs et les délégués révolutionnaires entraînent d’écrasantes majorités. A midi, comme prévu, se réunissent 414 délégués, élus dans les usines. Richard Müller leur soumet un programme en sept points, proche des revendications des grévistes de Leipzig en 1917 : paix sans annexions ni indemnités, sur la base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tel qu’il a été défini à Brest par les délégués russes, représentation des travailleurs aux pourparlers de paix, amélioration du ravitaillement, abrogation de l’état de siège, rétablissement de la liberté d’expression et de réunion, lois protégeant le travail des femmes et des enfants, démilitarisation des entreprises, libération des détenus politiques, démocratisation de l’Etat à tous les échelons, en commençant par l’octroi du suffrage universel et égal à vingt ans pour le Landtag prussien". L’assemblée élit ensuite un comité d’action de onze membres, tous du noyau des délégués révolutionnaires : Scholze et Tost, déjà connus pour leur rôle dans la grève d’avril 1917, Eckert, Neuendorf, Blumental, Malzahn, Kraatz, Zimmermann, Tirpitz, Clâre Casper et, bien entendu, Richard Müller ". Elle décide d’inviter le parti social-démocrate indépendant à envoyer trois de ses représentants au comité d’action ". C’est alors qu’un spartakiste propose d’adresser la même invitation aux majoritaires, afin, dit-il, de « les démasquer » 100. La proposition, d’abord repoussée à deux voix de majorité, est finalement adoptée sur intervention de Richard Müller qui redoute que le mouvement soit présenté et dénoncé comme « diviseur ».
Le comité d’action se réunit immédiatement. Outre les onze élus, il comprend Haase, Ledebour et Dittmann, délégués par les indépendants, Ebert, Scheidemann et Braun, délégués par les majoritaires. Richard Müller préside. Ebert demande d’emblée la parole pour réclamer la parité entre représentants des partis et élus des ouvriers en grève, et pour déclarer inacceptables certaines des revendications qui viennent d’être adoptées. Les onze refusent de remettre en cause les votes qui viennent d’avoir lieu, mais la réunion est brusquement interrompue par la nouvelle — fausse — que la police marche sur la maison des syndicats. Le moment d’affolement passé, on s’aperçoit que les trois députés majoritaires ont quitté les lieux. Dans la soirée, le commandement militaire interdit les assemblées dans les usines et l’élection de comités de grève. Le nombre de grévistes atteint 500 000 123.
Le 29 a lieu la deuxième réunion du comité d’action. Scheidemann annonce qu’il a, dans l’intervalle, pris des contacts et que le sous-secrétaire d’Etat à l’intérieur est disposé à recevoir une délégation, pourvu qu’elle ne comporte que des parlementaires, les délégués des grévistes n’ayant aucune représentativité légale. Scheidemann insiste sur la nécessité d’ouvrir ces négociations qui peuvent valoir des satisfactions importantes au mouvement en matière de ravitaillement. La majorité du comité d’action accepte de négocier, mais refuse les conditions du sous-secrétaire d’Etat : elle désigne, pour le rencontrer, Scholze, Müller, Haase et Scheidemann. Cette délégation fait le pied de grue au ministère, perd Scheidemann à deux reprises dans les couloirs **. Finalement, les deux députés sont seuls reçus, non par le sous-secrétaire, mais par un directeur ; de guerre lasse, Scholze et Richard Millier sont restés dans l’antichambre. L’unique information que rapporte la délégation est que l’activité du comité d’action est déclarée illégale et justiciable du tribunal criminel".

Le 30, le Vorwärts est interdit, mesure précieuse pour lui, et qui lui vaut un prestige tout neuf : les autorités lui reprochent d’avoir « propagé de fausses nouvelles » en annonçant 300 000 grévistes. Des heurts se produisent, ici ou là, entre grévistes et policiers. Le comité d’action lance un tract d’information, appelle à l’élargissement de l’action :
«  Le mouvement doit prendre une extension si formidable que le gouvernement cède à nos justes revendications ».

Il convoque pour le 31 des manifestations de rue et un meeting en plein air au parc Treptow.
Dans la nuit du 30 au 31, le commandement militaire fait placarder de grandes affiches rouges qui annoncent le renforcement de l’état de siège et l’établissement de cours martiales extraordinaires. Cinq mille sous-officiers sont appelés à renforcer la police de la capitale.

Au matin éclatent les premiers incidents entre ouvriers grévistes et traminots non grévistes. On respire une odeur de guerre civile. Jogiches précise :
«  Comme un souffle révolutionnaire, une certaine disponibilité ; mais on ne savait qu’entreprendre. Après chaque heurt avec la police, on entendait : « Camarades, demain, on viendra avec des armes » .

Des tramways sont sabotés *9, les premières arrestations se produisent. Au meeting du parc Treptow, Ebert prend la parole, malgré l’interdiction des autorités militaires :
«  C’est le devoir des travailleurs de soutenir leurs frères et leurs pères du front et de leur forger de meilleures armes (...) comme le font les travailleurs anglais et français pendant leurs heures de travail pour leurs frères du front. (...) La victoire est le vœu le plus cher de tous les Allemands ».
Conspué, traité de « jaune » et de « traître », il s’affirme solidaire des revendications des grévistes, dont il ne veut connaître que l’aspect revendicatif.La police n’a pas cherché à l’arrêter, mais elle s’empare de Dittmann, pris en « flagrant délit » d’appel à la subversion, et qui va être condamné à cinq ans de forteresse m. L’après-midi, Scheidemann et Ebert proposent au comité d’action d’entamer les négociations avec le gouvernement par l’intermédiaire des dirigeants syndicaux que le chancelier est disposé à recevoir
métaux, Wuschek, qui venait d’arriver avec une déclaration de la direction majoritaire réclamant une action unitaire (ibidem, p. 133).