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les révolutions de 1917 à 1921
La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

Erich Muhsam

Avant tout, MUHSAM a été un agitateur, doué d’un sens prononcé pour la provocation, avec une bonne composante d’humour, habitué des cafés littéraires, il savait y faire apprécier ses poèmes caustiques. Ecrivain et journaliste de combat, souvent en conflit avec les autori­tés à cause de sa liberté de parole, il greffait de préférence sa réflexion sur les événements de la vie quotidienne. Son existence d’"en-dehors", comme on disait alors en France, l’amenait selon des témoigna­ges de contemporains à se tourner d’abord vers les exclus, chômeurs, repris de justice. Un de ses essais est consacré à l’homosexualité. Mais ce littérateur était aussi un homme d’action, confiant dans les vertus du "détonateur". Condamné à quinze ana de détention pour sa participa­tion à la République des conseils de Munich, libéré après cinq ans, il a été également une des premières victimes du régime hitlérien auquel il s’était opposé dès le départ avec énergie et lucidité.

Erich MUHSAM est né le 6 avril 1878 à Berlin, d’une famille juive. Son père est pharmacien. Dès ses études secondaires, à Lubeck, il manifeste son esprit de révolte et son sens critique en publiant dans un journal social-démocrate de la ville plusieurs articles anonymes sur la vie d’internat. Il est renvoyé du collège pour "activités socialistes". Après son baccalauréat, il est quelque temps apprenti puis aide-pharmacien.

Bientôt, il fait la connaissance de Gustav LANDAUER et s’associe avec lui aux activités de la "Nouvelle Communauté", un groupe lit­téraire libéral qui exercera par la suite une assez grande influence sur la vie intellectuelle allemande. Il fait quelques voyages en Suisse, en Italie, en Autriche et an France. En 1909, il s’installe à Munich où il gagne sa vie en collaborant à divers journaux, notamment à "Jugend" et à"Simplicîssimus". Au mois d’avril 1911, il fonde la revue mensuelle "Kain" qu’il arrive à maintenir jusqu’à la guerre et dont il publie une nouvelle série de novembre 1918 à avril 1919.

En janvier 1918, au moment de la grève générale déclenchée dans toute l’Allemagne par les ouvriers des fabriques de munItions pour manI­fester contre la guerre, MUHSAM harangue à Munich les travailleurs des usines Krupp. De plus, Il a refusé d’être incorpore dans le service auxiliaire patriotique qui vient d’être instauré. La police l’arrête et l’envoie en résidence surveillée. Libéré le 5 novembre, il tient au cours des trois journées suivantes des discours pacifistes devant les casernes munichoises.

Après la proclamation de la République de Bavière et la cons­titution du Conseil des ouvriers, des soldats et des paysans, il est un des partisans les plus actifs du "pouvoir des conseils" et combat avec acharnement le retour à l’ancien parlementarisme. Le 7 décembre, 400 hom­mes conduits par MUHSAM et Rudolf EGELHOFFER, l’un des principaux respon­sables de la mutinerie de KIEL, occupent les locaux de la presse munichoise. EISNER intervient personnellement, an pleine nuit, pour faire cesser l’occupation. L’opération se poursuit alors au ministère de l’Intérieur, où ils arrachent sa démission au ministre social-démocrate ABER. Mais les troupes gouvernementales les dispersent.

Le 10 janvier 1919, craignant des troubles à l’occasion des élections législatives, EISNER fait arrêter MUHSAM et onze autres militants du Conseil ouvrier révolutionnaire et du K.P.D., mais une manifestation l’oblige à les libérer. L’un d’entre eux, le communiste Max LEVIEN qui adhère aussi au Conseil ouvrier révolutionnaire animé par MUHSAM, est arrêté à nou­veau début février pour un discours prononcé au Conseil central où il appelait à la lutte décisive contre la bourgeoisie. On fait état contre lui d’un article de l’ancien code pénal concernant l’"excitation". les déléguée du Conseil ouvrier révolutionnaire (R.A.R.), dont LANDAUER et MUHSAM, se rendent au ministère de la Justice pour obtenir sa libération en menaçant d’une manifestation de masse. Il est relâché le même jour, le 9 février, et rejoint immédiatement une réunion du R.A.R. destinée à organiser la manifestation. Sur proposition de LANDAUER, le R.A.R. se rend, drapeau rouge en tête, vers le théâtre ou le Conseil central déli­bère lui aussi sur les décisions à prendre pour défendre la liberté d’expression et faire abroger l’article sur l’"excitation". La réunion sera agitée, au moment où le R.A.R. et les communistes réclament d’ajouter aux mots d’ordre de la démonstration, la démission de certains ministres et la non-convocation de l’Assemblée nationale, les socialis­tes majoritaires quittent la salle. Ils sont remplacés aussitôt par les "hommes de confiance" des entreprises munichoises, et la très importante manifestation du 16 février est décidée.

Début avril, les Conseils d’ouvriers d’Augsbourg déclenchent une grève politique avec les mots d’ordre "dictature illimitée du pro­létariat, création d’une République des conseils, alliance avec la Russie et le Hongrie soviétiques, rupture des relations avec le gouvernement central de Berlin formation d’une armée révolutionnaire. MUHSAM est un des instigateurs de la grève.

Plusieurs villes de Bavière suivent le mouvement. A Munich, MUHSAM est de ceux qui interviennent avec le plus de détermination pour inciter à la proclamation de la République des conseils de Bavière, dans la nuit du 6 au 7 avril. Selon les souvenirs du social-démocrate NISKISCH, qui préside alors le Conseil central (il démissionnera après cette séance et sera remplacé par Ernst TOLLER) MUHSAM se propose comme délégué du peuple aux Affaires extérieures. Il est contré amicalement par LANDAUER, ce qui ne l’empêche pas de soutenir chaleureusement celui-ci pour la dé­légation à l’Education.

Le 13 avril, au cours du putsch social-démocrate, MUHSAM est arrêté avec certains délégués du peuple, et conduit à la prison d’Ebrach, près de Bamberg, Cette arrestation lui évite sans doute d’être abattu après le 1er mai. Le procès du MUHSAM et de ses douze camarades a lieu en juillet, à Munich. Il se défend de manière courageuse et sarcastique. La cour martiale le condamne à quinze ans de détention, Il est emprisonné à Ansbach, puis à Niederschonenfeld. Durant son incarcération, il écrit un "Hommage à Landauer", des poèmes et son drame "Judas" qui figurera au répertoire de Piscator.

MUHSAM, à qui il arrivait de se dire bolchevik, croyait que la Révolution d’Octobre réconcilierait le marxisme et l’anarchisme. En 1920, il écrit notamment "Les thèses théoriques et pratiques de LENINE sur l’accomplissement de la révolution et les tâches communistes du prolétariat ont donné à notre action une nouvelle base... Plus d’obstacles insurmontables à une unification du prolétariat révolutionnaire tout entier". L’écrasement de Kronstadt et de la Makhnovtchina sapent ses espoirs. Mais jusqu’à la fin de sa vis, il s’efforce d’unir l’action des anarchistes et des marxistes révolutionnaires contre la bourgeoisie et le national-socialisme.

Il est libéré le 21 décembre 1924, à l’occasion d’une mesure d’amnistie destinée d’abord à remettre en liberté un certain Adolf HITLER. Le lendemain, Ces milliers d’ouvriers berlinois l’attendent à la gare. Pendant six mois, il parcourt l’Allemagne et parle en faveur des prisonniers politiques. Il s’occupe ensuite des cas individuels, celui en par­ticulier du militant communiste Max HOLZ condamné à la détention à vie. Il participe aussi à la campagne pour SACCO ET VANZETTI. En octobre 1926, il fonde la revue mensuelle "Fanal" qui tient jusqu’en 1931. (Elle doit être prochainement republiée en fac-simIlé). Il crée également sa propre maison d’édition et publie plusieurs ouvrages : ses souvenirs sur la République des conseils, un récit de ses rencontres littéraires, un essai sur l’anarchisme communiste. Jusqu’à l’avènement du 111ème Reich il participe à de nombreux meetings contre le nazisme.

Le 28 février 1933, quelques heures après l’incendie du Reichstag il est arrêté alors qu’il s’apprête à quitter l’Allemagne. Il séjourne dans plusieurs geôles hitlériennes avant d’aboutir au camp de concentra­tion d’Oranienburg. Il est pendu par les S. S. dans la nuit du 9 au 10 juillet 1934. Les nazis prétendent qu’il s’est suicidé, mais plusieurs témoignages prouvent qu’il a été froidement assassiné.

Le jour de son enterrement, le 16 juillet, sa femme se réfugie en Tchécoslovaquie. Quelques mois plus tard, elle est invitée en U. R. S. S. où elle emporte tous les manuscrits de MUHSAM car on lui promet une édition de ses oeuvres complètes. Les documents vont aux archives sovié­tiques, et la censure autorise seulement la parution de quelques poèmes et de souvenirs littéraires. Lors des purges staliniennes, en 1936, Zesnt MUHSAM est arrêtée, condamnée a huit ans de travaux forcés et déportée. Elle sera libérée une quinzaine d’années plus tard, malade et commençant à perdre la raison, pour être envoyée en Allemagne de l’Est. Elle meurt à Berlin-est le 10 mars 1962.

La plupart des informations ci-dessus sont tirées de la biographie de MUHSAM par Roland LEWIN