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les révolutions de 1917 à 1921
La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

La révolte de Turin Août 1917
ANDREINA DE CLEMENTI

Ci dessous des extraits de l’article d’ ANDREINA DE CLEMENTI LA RÉVOLUTION D’OCTOBRE ET LE MOUVEMENT OUVRIER ITALIEN Le texte complet est en fin de page.

Première insurrection à Turin Mai 1915

Durant la guerre impérialiste de 1914-1918, Turin vécut deux insurrections armées : la première insurrection, qui éclata en mai 1915, avait l’objectif d’empêcher l’intervention de l’Italie dans la guerre contre l’Allemagne (à cette occasion fut saccagée la Maison du peuple) [il ne s’agissait pas du tout de germanophilie, mais du désir de voir l’Italie demeurer hors du conflit] Gramsci, Ordine nuovo (14 mars 1921)


Deuxième insurrection à Turin

Visite d’une délégation russe à Turin, août 1917

C’est dans l’atmosphère de sympathie avec laquelle les forces démocratiques italiennes se tournent vers la Russie, que doit être placé le voyage de la mission du Soviet en Italie qu’un historien italien, Paolo Spriano, a défini non sans raison,"un des voyages les plus paradoxaux de l’histoire politico-diplomatique de la première guerre mondiale". Le but des délégués est de créer une plate-forme unitaire la plus large possible, en vue de la conférence fixée pour le 15 août à Stockholm ; elle devrait agir sur les gouvernements, les contraignant à des négociations de paix, sans annexions ni réparations de guerre, mais fondée sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, La plupart des groupes politiques accueillent chaleureusement la délégation, même le social-démocrate Bissolati reçoit les quatre « pèlerins de la paix », Goldenberg, Russanoff, Earlich et Smirnov.

Aussi bien l’aile gauche du P.S.I. que le petit parti socialiste gouvernemental tentent d’utiliser, de façon plus ou moins empirique, la visite des délégués russes et l’enthousiasme qu’elle suscite dans les masses populaires, afin de renforcer leur propre ascendant sur celles-ci ainsi que leur poids politique respectif.

La visite se déroule du 4 au 15 août 1917 ; les délégués s’arrêtent à Florence, à Milan, à Turin, à Rome et à Bologne, partout acclamés par la foule. Leurs discours sur les objectifs et le programme de la Révolution de Février sont explicites : "Le Soviet a lancé cet appel Au prolétariat du monde entier parce qu’il est profondément convaincu que le jour où les gouvernements autocratiques auront disparu du monde, l’Internationale de la liberté et de la paix ne sera plus seulement une aspiration mais un fait accompli" (discours de Goldenberg, le 4 août à Turin). On rejette la perspective d’une paix séparée, et on se proclame fidèle à la formule de Zimmerwald : Toutefois - ajoute encore Goldenberg - l’influence du Soviet n’est pas limitée à la guerre. Il a transformé politiquement la Russie, en obtenant, par ses pressions, que le gouvernement promulgue une suite de lois qui sont assurément les plus libres du monde. La même netteté se retrouve dans les appréciations sur Lénine : « En parlant de Lénine - écrit le reporter de l’Avanti ! les délégués nous ont affirmé que c’est un homme d’une honnêteté à toute épreuve péchant par idéalisme. Des personnes sans scrupules dont il s’est laissé entourer lui ont fait assumer des responsabilités qui l’ont fait paraître, aux yeux d’un certain nombre, pour un ennemi de la révolution et de la Russie. (Compte rendu de la visite à Milan.) Les discours prononcés par les leaders socialistes à cette occasion reproduisent les attitudes que nous avons cherché à esquisser plus haut.

Le comble de l’enthousiasme est atteint à Turin. Une foule imposante, d’environ quarante mille personnes, se rassemble autour des locaux de la Bourse du Travail ; on doit renoncer à se réunir à l’intérieur des locaux, et les délégués russes s’adressent d’un balcon à la foule qui se presse corso Siccardi. On les accueille aux cris de Vive la révolution russe> et de « Vive Lénine>, qui seront répétés plusieurs fois au cours de la manifestation. Le délégué Smirnov, ouvrier métallurgiste, est particulièrement acclamé : à Turin les métallurgistes de la Fiat constituent la majorité de la population laborieuse.

L’atmosphère de Turin est surchauffée, et la tension atteint un degré très élevé : il y a la fatigue, le mécontentement, la rébellion sourde qu’ont engendrés dans les masses populaires les deux dures années de. guerre, etc. Turin a eu le privilège de voir peu de ses hommes partir pour le front, car la plupart des ouvriers turinois travaillaient dans des industries de guerre. Mais c’est justement la plus forte concentration industrielle, la présence d’une classe ouvrière évoluée, qui a fait ressentir de façon plus poignante et plus consciente le ma- laise provoqué par la guerre.

La visite des délégués du Soviet à Turin trouve un écho et une adhésion immédiate dans la sympathie avec laquelle on considère la Russie à ce moment-là, mais l’enthousiasme a une autre raison encore : la possibilité d’être tous ensemble, unis , pour la première fois depuis de longues années, et de se compter et de crier tous d’une seule voix sa propre révolte contre l’oppression de la guerre. Les vive Lénine signifient que Lénine représente la plus intransigeante et la plus radicale des exigences de paix, et qu’en acclamant son nom on manifeste sa propre haine de la bourgeoisie qui a voulu la guerre, et qui calomnie et persécute Lénine.

A l’origine de cet état d’esprit se trouve la propagande des socialistes de gauche, qui exercent une forte influence sur la section locale, et trouvent chez le Turinois Francesco Barberis l’un de leurs porte-parole les plus populaires. Le leitmotiv de cette propagande est l’exhortation à faire comme en Russie. Ce qui frappe l’imagination populaire est probablement. le fait qu’un peuple, poussé à la guerre par son souverain, a contraint celui-ci d’abandonner son pouvoir et de le céder aux révolutionnaires .

Et c’est justement à Turin, quelques jours après la visite des délégués russes, que l’on peut constater un résultat tangible de cette situation. Entre le 22 et le 26 août un soulèvement populaire de très vastes proportions et d’une grande violence bouleverse la ville tout entière. Le manque de pain qui amorce le mouvement n’est qu’un motif occasionnel : par la suite les autorités gouvernementales, celles de la police, aussi bien que les dirigeants socialistes le reconnaîtront unanimement.

On a déjà dit que Turin souffre moins de la guerre que toute autre ville italienne ; la mobilisation y est très limitée, les salaires des métallurgistes sont élevés. Le soulèvement prend immédiatement un caractère politique (contre la guerre) et spontané. La direction politique du mouvement échappe à la section socialiste, dont les dirigeants sont parmi les combattants les plus décidés sur les barricades dressées hâtivement dans les quartiers ouvriers pour la défense contre la cavalerie.

Les combats se succèdent pendant quelques jours, et les insurgés laissent sur le terrain cinquante morts et des centaines de blessés, tandis que les pertes de la police se limitent à quelques unités : ce qui montre suffisamment que la population est allée jusqu’à se battre dans les rues tout en étant sans armes et sans préparation.

Des tentatives sont faites pour amener les troupes à fraterniser, mais sans aucun résultat significatif, car les soldats ont cru que le soulèvement avait été inspiré par les Empires centraux, et ils n’ont pas hésité à tirer sur la foule désarmée. Serrati accourt de Milan, pour tenter vainement de prendre la direct ion du soulèvement. Turin, paralysé par la grève générale, est complètement isolé ; dans la province on n’enregistre que des grèves de solidarité et de sympathie. Dans le reste du pays, aucune nouvelle ne transpire ; les dirigeants réformistes ne bougent pas et la censure organise une conspiration du silence autour de ces journées sanglantes.

Le 22 août, le jour même où les heurts avec la police ont éclaté, les provisions demandées sont arrivées , mais cela ne suffit pas à apaiser les esprits. Quatre jours après, la crise du pain n’est toujours pas résolue, mais la ville est redevenue tranquille.

Le lundi 27 le travail reprend. Quelques années plus tard, un témoin oculaire, le socialiste Mario Montagnana, qui par la suite fera partie du groupe de l’Ordine nuovo, évoquera ainsi ces événements : On ne peut affir mer que les soulèvements ont été étouffés dans le sang. En réalité ces hommes n’ont pas été tués : ils sont morts parce que les ouvriers, après avoir déchargé leur colère et leur haine de la guerre, ne savaient plus que faire, ni vers quel but immédiat diriger leurs efforts.

Un an après, la justice frappera de lourdes peines un groupe d’hommes, pour la plupart des ouvriers socialistes et anarchistes, accusés d’être .les responsables du mouvement.


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