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les révolutions de 1917 à 1921
La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

Lettre de Zenzl Müsham, la révolution à Munich

Extrait de Zenzl Müsham Une vie de révolte Éditions la Digitale 2008

Munich, le 25 nov. 18
Mon cher N., ma chère Gretl,

A présent, mon cher N., nous sommes devenus des républicains. Oui, mon très cher ami, la guerre est finie et je vais vous décrire la nuit où 22 princes ont été jetés à bas de leur trône.

C’est nous, les Bavarois, ou plutôt les, habitants de Munich, la capitale, qui, dans la nuit du 7 au 8 novembre, avons fait de la Bavière une république.

C’est Munich qui a mis en route la révolution. Ah, c’était magnifique : si vous aviez été là ! Ce sont les soldats qui l’ont fait. On avait annoncé une -manifestation sur la Theresien¬wiese pour l’après-midi du 7 novembre afin de protester contre la défense nationale. La Theresienwiese était noire de monde, au moins 200 000 personnes, l’atmosphère était ’ détendue, Eisner", Auer 3, etc. ont pris la parole. Les soldats ne voulaient plus écouter, ils ont déroulé les drapeaux rouges et un des soldats fut superbe, il a agité le drapeau rouge, demandant à tous de quitter leurs femmes pour les camarades combattants, la révolution et la paix, Soldats, camarades, rejoignez-nous, rendez-vous aux casernes, on les sort tous des casernes et on assiège la prison militaire. Alors, l’agitation gagna cette masse immense.

Nous voulions aller vers les soldats, car s’ils n’étaient pas victorieux, ce seraient eux nos pires traîtres, mais comme nous voulions d’abord convaincre une colonne de chauffeurs de venir aussi — ils étaient cantonnés dans le Parc des expositions —, nous avons perdu de vue les soldats et avons rejoint une colonne d’ouvriers. Partant de la Theresienwiese, elle est passée devant la gare, puis, en traversant la place Maximilien, devant la Résidence’, dans le calme le plus total, on n’a pas entendu une seule fois crier « A bas le roi », c’était triste, j’avais le sentiment que ça allait encore se passer comme la dernière fois, lorsque vous étiez chez nous. Erich, moi et deux Russes qu’il avait connus au camp de Traunstein 5, à savoir le docteur Munger et un chimiste appelé Richkivitch, donc au bout de la rue Maximilien, j’ai demandé à quelqu’un du service d’ordre où l’on allait au juste, il me dit, au Caveau Maximilien, une de ces brasseries munichoises.

On n’avait pas envie d’y aller, et on s’est séparés de la colonne, on est montés dans un tramway de la ligne 2 pour aller voir s’il se passait quelque chose du côté de la caserne des Turcs, c’est là qu’il y a la garde du roi. l h, il y avait un camion avec des soldats qui voulaient attaquer la caserne. Au moment où nous arrivions, ils étaient en train de lancer des obus à gaz, à la sortie, pour que les soldats ne puissent pas entrer dans la caserne et les grenadiers en sortir. Mais c’était un gaz appelé gaz lacrymogène. C’est justement à cet instant critique que nous sommes arrivés, j’ai sauté sur la capote de la voiture, ai pris le drapeau rouge et ai crié « Vive la paix et la révolution », les soldats sont revenus et puis j’ai appelé M’’’’ Ohlemeyer [?]pour qu’elle monte sur la voiture et puis, nous avons hissé Mühsam jusqu’à nous. Mühsam fit un magnifique discours devant les soldats, alors les soldats se sont précipités hors de la caserne, ont brisé leurs fusils sur le pavé et ceux qui ont pu sortir — en fait, tous les soldats étaient enfermés dans les casernes — ont quitté la caserne en poussant des hourras.

Nous avons ensuite quitté la Caserne des grenadiers avec un camion qui était plein de soldats pour aller attaquer les casernes près de l’Oberwiesenfeld, c’est près de chez nous, je ne sais pas si vous êtes déjà passés devant. A la Caserne de l’artillerie de campagne, avec notre drapeau rouge, nous avons été accueillis avec des explosions de joie, il faisait déjà nuit, c’était vers 7 heures et demie, puis nous avons fait le tour des casernes. Nous avons emmené toutes les sentinelles avec nous et les soldats ont fait de Mühsam leur chef. Finalement, vers 9 heures du soir, nous sommes arrivés à la Caserne de la 2e infanterie, là, l’affaire semblait plus risquée, à l’entrée, il y avait des soldats en armes et quand on leur a demandé s’ils allaient tirer, l’officier a répondu nous faisons seulement notre devoir. Alors, nos soldats se sont jetés sur les soldats en armes qui se sont précipités dans la cour de la caserne et nous à leur poursuite et là, ça a claqué, ils nous ont tiré dessus. Je me trouvais dans la cour de la caserne avec de nombreux soldats, j’ai compris ce qu’on ressent quand les balles vous sifflent aux oreilles. Mühsam a agi comme il le fallait, il a eu des paroles simples vis-à-vis des soldats qui avaient tiré. Ils ont alors cessé, seul un garçon d’environ 16 ans a été touché à l’épaule.

Puis Mühsam fit une allocution sous l’angle purement humain en expliquant aux soldats ce que cela signifiait d’avoir tiré, c’était un régiment qui était arrivé de Schweinfurt trois heures auparavant et les soldats n’avaient aucune idée de ce qui se passait à Munich. Les soldats du 2` régiment ne nous ont pas suivis, ils n’y croyaient pas. Nous avons donc entraîné toutes les casernes sauf celle-ci. Puis, je suis rentrée à la maison avec le docteur Munger, le médecin russe.

Entre-temps, nos soldats étaient allés chercher des fusils et des mitrailleuses pour se défendre. Mühsam empêcha l’assaut contre cette caserne, en exhortant ses soldats à plus d’humanité, leur conduite fut alors irréprochable. Ils ont chargé le camion puis Mühsam et les soldats sont allés à la gare où ils ont été accueillis par les accla-mations d’une masse immense et ensuite, Mühsam s’est adressé à la foule devant la gare. Il est rentré à la maison à minuit et demie et n’avait plus de voix.

Voici la nuit qui a fait de nous des républicains. L’adjudant qui avait la garde de la prison militaire fut exécuté par les soldats rebelles, parce qu’il les avait reçus à coups de revolver alors qu’ils voulaient libérer leurs camarades, un officier fut ensuite abattu et un soldat tué — il avait commis une imprudence. Telles sont les victimes de notre révolution. N., maintenant, en tant que républicaine, je vous en supplie ,travaillez avec nous à l’entente dans l’Internationale’. Nous nous sommes maintenant libérés de nos tyrans, mais à ce qu’il me semble, ceux qui ont vaincu veulent désormais nous asservir. Il faut lancer un appel aux peuples de France et d’Angleterre afin qu’ils nous traitent un peu mieux. Je vous en prie, mon cher ami Nex0, travaillez dans ce sens, nos soldats, après toute cette misère. sont devenus des êtres humains et nous avons mis fin nous-mêmes au militarisme. C’est parti, il n’y a plus de militarisme allemand. Il est mort, bien mort. S’il vous plaît, cher N., répondez-moi vite, dites-moi comment, chez vous, on interprète tout cela.

Ludwig Engler s est rentré du front, il est au Conseil des soldats du 3’ régiment d’infanterie bavarois. Vers la fin, il se trouvait aux premières lignes par mesure disciplinaire. Je vous ai maintenant décrit tout ce qui s’est passé les premierrs jours. Mühsam est au Conseil ouvrier. Les premiers jours, il a travaillé au ministère de la Guerre, les trois premiers jours, c’est tout juste s’il a dormi deux heures. Vous pouvez maintenant vous faire une petite idée de la vie que nous menons