Les mains calleuses des ouvriers et des marins de Kronstadt ont arraché le gouvernail des griffes des communistes et se tiennent à la barre.
Avec entrain et assurance, elles mèneront le navire du pouvoir des Soviets jusqu’à Petrograd, d’où ce pouvoir doit s’étendre à toute la Russie souffrante.
Mais, camarades, restez sur vos gardes. Redoublez de vigilance : il est semé d’écueils, le chemin du chenal.
Un seul tour de barre malheureux, et le navire, avec sa cargaison, la plus précieuse pour vous — la cargaison de l’édification socialiste —, peut aller s’échouer sur un rocher.
Surveillez bien, camarades, la passerelle du barreur — les ennemis s’y faufilent déjà. Une seule minute d’inattention de votre part, et ils vous arracheront la barre, et le navire des Soviets ira par le fond, sous les ricanements des laquais tsaristes et des valets de la bourgeoisie.
Camarades, aujourd’hui, vous célébrez une grande victoire pacifique sur la dictature des communistes ; or vos ennemis aussi crient victoire avec vous.
Mais leurs motifs et les vôtres sont tout à fait opposés.
Vous êtes inspirés par l’ardent désir de restaurer le véritable pouvoir des Soviets et par le noble espoir d’offrir à l’ouvrier un travail libre, au paysan le droit de disposer de sa terre et des fruits de son travail ; eux sont inspirés par l’espoir de restaurer la nagaïka [1] du tsar et les privilèges des généraux.
Vos intérêts divergent et, de ce fait, ils ne sont pas vos compagnons de route.
Il vous fallait renverser le pouvoir des communistes pour reconstruire pacifiquement le pays et instaurer un travail créateur ; eux doivent le faire pour réduire en esclavage les ouvriers et les paysans.
Vous êtes en quête de liberté, eux veulent de nouveau jeter sur vous les chaînes de l’esclavage.
Soyez vigilants. Ne laissez pas s’approcher de la passerelle du barreur les loups vêtus de peaux d’agneau.