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les révolutions de 1917 à 1921
La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

Comment s’est formé le Comité révolutionnaire provisoire
Izvestia N° 9 - Vendredi 11 mars 1921

Le 1er mars à 2 heures du matin se tint sur la place de la Révolution, avec l’autorisation du Comité Exécutif du Soviet, et non pas spontanément, un meeting de marins, soldats rouges et ouvriers.

Près de 15 000 personnes y assistèrent. Il se déroula sous la présidence du camarade Vassiliev, président du Comité Exécutif, avec la participation du camarade Kalinine, président du Comité Exécutif Central Panrusse, et de Kouzmine, commissaire de la Flotte de la Baltique, arrivés de Petrograd.

L’objet du meeting était d’examiner la résolution adoptée auparavant par l’assemblée générale des équipages des 1ère et 2ème escadres, qui avait comme ordre du jour les moyens par lesquels sortir le pays de cette situation difficile de désarroi et de chaos.

Cette résolution est maintenant connue de tous et ne contient rien qui puisse ébranler le pouvoir des soviets.

Au contraire, elle exprime authentiquement celui-ci — le pouvoir des ouvriers et des paysans. Mais les camarades Kalinine et Kouzmine, qui intervinrent, ne voulaient pas le comprendre. Leurs discours n’eurent pas de succès. Ils ne surent pas toucher les masses éreintées jusqu’au désespoir. Et le meeting adopta à l’unanimité la résolution des équipages.

Le lendemain, munis de l’autorisation du Comité Exécutif et conformément aux instructions publiées dans les Izvestia, les délégués des navires, des unités militaires, des ateliers et des syndicats, à raison de deux par organisation, se réunirent dans la Maison de l’Instruction populaire, ex-école des Ingénieurs. Il y avait en tout plus de trois cents personnes.

Les représentants du pouvoir perdirent la tête, et certains d’entre eux abandonnèrent la ville. On comprend donc que l’équipage du navire de ligne Petropavlosk ait dû lui-même assurer la garde de l’édifice et des délégués contre tout excès, d’où qu’il vînt.

La réunion des délégués fut ouverte par le camarade Petritchenko, qui, après élection d’un présidium de cinq membres, passa la parole au camarade Kouzmine, commissaire de la Flotte de la Baltique. Ce dernier parla sans tenir le moindre compte de la nette animosité de la garnison et des ouvriers à l’égard des représentants du pouvoir et des communistes. L’objectif de la réunion était de trouver une solution : résoudre la situation par une voie pacifique, et, notamment, élaborer un organisme à l’aide duquel il serait possible de mener sur des bases plus justes les réélections au Soviet proposées par la résolution.

Il était d’autant plus nécessaire de le faire que le mandat du précédent Soviet, presque entièrement aux mains des communistes, et qui s’était avéré incapable de gérer les problèmes vitaux urgents, était en fait déjà achevé.

Mais au lieu d’apaiser l’assemblée, le camarade Kouzmine l’exaspéra. Il parlait de la position ambiguë de Kronstadt, des patrouilles, du double pouvoir, du danger polonais, de l’Europe entière qui nous regardait, il affirmait que Petrograd restait calme ; il souligna qu’il était lui-même entre les mains des délégués, que ceux-ci pouvaient le fusiller s’ils le souhaitaient, et déclara pour finir que s’ils voulaient la lutte armée, elle aurait lieu, car les communistes ne quitteraient pas le pouvoir de bonne grâce, et se battraient jusqu’à leurs dernières forces.

Après le discours de Kouzmine, discours maladroit et qui ne calma en rien le trouble des délégués, mais ne fit au contraire qu’apporter sa pierre à l’édifice de leur mécontentement, la fade intervention du président du Comité Exécutif, le camarade Vassiliev, très floue de contenu, passa inaperçue. L’écrasante majorité de l’assemblée était clairement hostile aux communistes.

Pourtant, celle-ci restait persuadée qu’il était possible de s’accorder avec les représentants du pouvoir, ce que confirme le fait que l’appel du président de séance pour passer à un travail effectif et élaborer l’ordre du jour rencontra le soutien unanime des délégués.

On décida de passer à l’ordre du jour, mais il apparut alors assez nettement qu’on ne pouvait plus faire confiance aux camarades Kouzmine et Vassiliev, et qu’il était nécessaire de les mettre provisoirement en état d’arrestation, puisque l’ordre de désarmer les communistes n’avait pas encore été donné, que l’on ne pouvait plus se servir du téléphone, que les soldats rouges avaient peur (une lettre lue à l’assemblée le confirmait), et que les commissaires interdisaient les réunions dans les unités de l’armée, etc.

Bien que l’assemblée ne cachât pas ses sentiments négatifs à l’encontre des communistes, et après avoir exclu de la séance les camarades Kouzmine et Vassiliev ainsi que le commandant de la forteresse, la question de savoir s’il fallait conserver ou non dans la réunion les communistes délégués et poursuivre ou non le travail avec eux, fut résolue par l’affirmative. L’assemblée, nonobstant les protestations isolées de quelques membres qui proposaient d’arrêter les communistes, n’y souscrivit pas et jugea possible de reconnaître aux représentants communistes les mêmes pouvoirs qu’aux autres membres dans toutes les sections et organisations.

Ce fait prouve une fois encore que les délégués sans-parti des travailleurs, soldats rouges, marins et ouvriers croyaient que la résolution adoptée la veille au meeting de la garnison n’aboutirait pas à une rupture avec les communistes ni avec le parti, qu’ils pourraient trouver avec eux un langage commun et se comprendre.

Puis, sur proposition du camarade Petritchenko, la résolution adoptée la veille au meeting de la garnison fut rendue publique et l’assemblée l’adopta à une écrasante majorité.

C’est alors que la réunion, semblait-il, pouvait passer au travail effectif, qu’un camarade délégué du navire de ligne Sébastopol arriva avec une déclaration qui n’avait pas été prévue au programme et selon laquelle quinze camions de troupes armées de fusils et de mitrailleuses faisaient route vers le lieu de la réunion.

Cette nouvelle à laquelle l’assemblée ne s’attendait pas du tout ne se confirma pas par la suite ; elle avait été lancée par les communistes dans le but de faire se dissoudre la réunion. Mais au moment où elle survint, l’assemblée, vu l’état de tension où elle se trouvait, vu les sentiments hostiles des représentants du pouvoir à son égard, était assez près de croire qu’il en était ainsi.

Cependant, la proposition du président de passer à l’examen de la période actuelle sur la base de la résolution déjà adoptée reçoit l’appui de l’assemblée qui entreprend la discussion des mesures propres à la réalisation effective de cette résolution. La proposition d’envoyer une délégation à Petrograd est rejetée, car on craint qu’une telle délégation ne soit arrêtée en chemin. Après quoi, la quasi-totalité des camarades délégués propose d’organiser le présidium de la réunion en un Comité Révolutionnaire Provisoire que l’on chargerait de préparer les nouvelles élections au Soviet.

Au dernier moment, le camarade président communique qu’un détachement de deux mille hommes fait mouvement vers la Maison de l’Instruction, que l’assemblée quitte aussitôt, dans l’inquiétude, l’émotion et la révolte.

La séance ainsi levée, le Comité Révolutionnaire Provisoire, pour se protéger, se transfère à bord du navire de ligne Petropavlosk où il établit son siège jusqu’à ce que, grâce à ses efforts, l’ordre soit réinstallé au mieux des intérêts de tous les travailleurs, marins, soldats rouges et ouvriers.