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les révolutions de 1917 à 1921
La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

Léonard Shapiro - L’insurrection de Cronstadt et la NEP
Extrait du livre "Les origines de l’absolutisme communiste, les bolcheviks et l’opposition 1917-1922

Leonard Bertram Schapiro, né le 22 avril 1908 à Glasgow, mort le 2 novembre 1983 à Londres, est un avocat et universitaire britannique. Son livre, "Les origines de l’absolutisme communiste, les bolcheviks et l’opposition 1917-1922" paru en 1955, est la première étude complète et détaillée sur les différentes oppositions politiques à Lénine, comme les communistes de gauche de 1918, les socialistes révolutionnaires de gauche, les décistes, l’Opposition militaire, l’Opposition ouvrière. Wikipedia

Nombre d’historiens soviétiques et même quelques autres ont introduit beaucoup de déformations dans leurs récits concernant la vague de grèves et de manifestations ouvrières de Pétrograd et l’insurrection des marins et de la population de la base navale de Cronstadt en février 1921. En négligeant la vérité historique, la plupart s’efforcent de démontrer que ces événements étaient inspirés de l’extérieur par les ennemis de l’État soviétique. Aucune preuve ne vient corroborer une telle assertion que rejettent tous les historiens sérieux de cette période. Les ennemis de Trotsky — dont le nombre s’est accru évidemment depuis sa chute en 1927 — cherchent à faire ressortir qu’à Pétrograd, où Zinoviev dominait les organismes du Parti, il a été beaucoup plus facile de rétablir l’ordre et que le danger était bien moins grave qu’à Cronstadt, où, tout au moins dans la marine, les organismes communistes étaient subordonnés à l’appareil militaire, c’est-à-dire en fin de compte à Trotsky. D’autre part, les partisans de Trotsky cherchent encore à établir que la révolte des marins n’a été possible en 1921 qu’à cause du changement survenu depuis 1917 dans l’origine sociale des effectifs. Si chacune de ces allégations contient une part de vérité, aucune des deux ne parvient à expliquer entièrement les incidents dus à des causes bien plus complexes.

Les grèves et les troubles sociaux de l’industrie, qui éclatèrent à Pétrograd au cours de la dernière semaine de février et s’étendirent pratiquement à la ville entière, ne constituaient qu’une part du phénomène politique. Pour les expliquer, il suffit de se souvenir des privations qu’entraînait pour la population le marasme industriel de la ville, sans avoir besoin de rechercher des mobiles politiques. La situation s’est aggravée en février d’une pénurie de combustibles qui provoquait la fermeture de beaucoup d’usines. En outre, la catégorie la plus favorisée des rations, celle des ouvriers des transports, était réduite à l’équivalent de 700 à 1 000 calories d’aliments par jour et par personne. Les ouvriers de Pétrograd tentèrent d’organiser des expéditions de ravitaillement dans les campagnes voisines en dépit de l’interdiction du commerce libre. Lorsque le gouvernement prit des mesures rigoureuses pour supprimer ces expéditions, le mécontentement atteignit des proportions dangereuses. La question du ravitaillement revêtait une importance primordiale pour les grévistes et les manifestants ; on peut le voir dans le texte même des résolutions qu’ils adoptaient lors des réunions et qui exigeaient toutes le libre échange avec les villages et la suppression des détachements punitifs, créés pour lutter contre le marché noir. On discerne néanmoins un certain fond politique dans ces résolutions et l’on peut y percevoir une certaine influence menchévique et sociale-révolutionnaire.

Il est indéniable que les Menchéviks aient participé aux grèves de Pétrograd. Ils avaient de nombreux partisans parmi les ouvriers de la ville et cherchaient, selon leur ligne d’opposition par tous les moyens légaux, à faire inscrire parmi les revendications non seulement quelques concessions partielles, mais une réforme d’ensemble de la structure gouvernementale, y compris la liberté des élections aux Soviets, la liberté d’expression pour tous les ouvriers, la libération des socialistes emprisonnés et la fin de la terreur. Pour limiter autant que possible les risques d’arrestation, leurs représentants se bornaient à prendre la parole devant des groupes réduits d’ouvriers à l’intérieur des usines et à distribuer des tracts. Quelques Menchéviks de droite allaient jusqu’à prêcher la révolte contre le gouvernement, mais ils n’exprimaient ni l’avis, ni la politique générale du Comité central de leur parti. Les Sociaux-Révolutionnaires se contentaient surtout de réclamer la convocation de l’Assemblée constituante.

En combinant les méthodes de force et les compromis, le Comité de Pétrograd du parti communiste parvint rapidement et sans peine à réduire les grèves et les manifestations qui étaient sur le point d’atteindre les proportions d’une grève générale. Rien ne semble indiquer que les grévistes aient bénéficié à un moment quelconque de l’appui d’une partie des groupements communistes de Pétrograd.

Le 24 février, le Comité communiste de la province de Pétrograd déclarait l’état d’urgence, ordonnait la mobilisation de tout le Parti pour faire face à la situation et, parmi les autres mesures générales de répression, faisait arrêter tous les membres encore libres des groupements menchéviques et sociaux-révolutionnaires.

L’opinion publique obtenait cependant une concession majeure : il était désormais permis aux ouvriers de se ravitailler à la campagne et l’on dirigeait en outre des approvisionnements d’urgence vers Pétrograd. Ainsi ce début de révolte s’apaisa bientôt, en partie grâce à l’intervention disciplinée du P. C. et en partie parce qu’en tant que mobile la famine avait bien plus d’importance que les ressentiments politiques.

Les conditions étaient tout à fait différentes dans la base navale isolée de Cronstadt, installée sur une île du golfe de Finlande à 27 kilomètres à l’ouest de Pétrograd. Les marins communistes de Cronstadt, "l’orgueil de la révolution", s’étaient montrés depuis les premiers jours l’élément le plus turbulent du Parti. Lors des troubles de juillet 1917, on avait eu beaucoup de peine à les dissuader de tenter immédiatement la prise du pouvoir contre les ordres mêmes du Comité central. Lorsqu’en janvier 1918 Chingarev et Kokochkine, deux ministres du Gouvernement provisoire, étaient assassinés à Pétrograd dans leurs lits d’hôpital, une enquête ordonnée par Lénine établit sans l’ombre d’un doute la culpabilité de certains marins de la Flotte baltique. Devant le refus opposé par les équipages de les livrer aux autorités, Lénine avait préféré abandonner l’affaire que de défier les marins. Il y a eu plus tard d’autres exemples montrant que les marins, dont Lénine menaçait volontiers le Comité central lorsque celui-ci ne lui obéissait pas, étaient fort loin d’être sous sa coupe. De leur côté, les Menchéviks n’avaient aucune influence au sein de la Flotte baltique, et les auteurs soviétiques n’ont jamais fourni la preuve de leur participation à l’insurrection, tout en l’affirmant fréquemment. II y a même des indices montrant que, loin d’appuyer celle-ci, les Menchéviks de Pétrograd ont refusé de s’en mêler.

Par contre, l’influence anarchiste était forte dans la Flotte, et il y avait des Sociaux-Révolutionnaires de gauche parmi les marins. En outre, tandis qu’à Pétrograd les rapports entre citadins et paysans étaient tendus à cause des prix exorbitants que ces derniers exigeaient en échange du ravitaillement au marché noir, à Cronstadt une bonne partie des marins, sinon la majorité, était d’extraction paysanne et comprenait mieux que les citadins les privations qu’infligeaient à la paysannerie les réquisitions forcées des récoltes.

C’est pourquoi la situation politique était bien différente dans les deux cas. Enfin, l’organisation du P. C. de la marine différait non seulement de celle de Pétrograd, mais aussi de l’organisation politique de l’armée. Tandis que dans l’armée l’autorité des commissaires augmentait par suite de la fusion progressive des fonctions de chef de corps et de commissaire, il n’y avait pas d’officiers "rouges" dans la marine et les commissaires prenaient habituellement le parti des matelots contre les anciens officiers impériaux. L’autorité des commissaires, ainsi que celle du commandement central sur eux, avait beaucoup souffert de la campagne menée par Zinoviev contre la direction politique de la Flotte. Zinoviev avait également exploité, pour compromettre la position de Trotsky, les occasions offertes lors du débat syndical, ainsi qu’on l’a relaté ci-dessus au chapitre XIV. Raskolnikov, commissaire politique en chef de la Flotte baltique, et Batis, directeur du Poubalt ou Directoire politique de la Flotte baltique, avaient adressé au Comité central un rapport dans lequel ils accusaient Zinoviev d’avoir entrepris une campagne qui faisait de Trotsky le défenseur principal de la contrainte, tandis que Zinoviev jouait au partisan d’un retour aux pratiques les plus strictes de la démocratie. Il est aisé d’imaginer l’effet d’une telle propagande sur la discipline, non seulement chez les commissaires politiques subordonnés à Trotsky, mais aussi parmi les équipages.

On ne tarda pas à s’apercevoir du contraste entre l’ambiance des organismes communistes de Pétrograd et de Cronstadt. Malgré les avis de Pétrograd, le commissaire politique de Cronstadt refusa de proclamer l’état de siège déclaré par le P. C. de la capitale, bien que la situation fût aussi troublée et aussi menaçante dans les deux cas, tant du point de vue matériel que du point de vue politique, et qu’en outre le Parti ait donné des signes de malaise grave. En septembre 1920, une épuration avait atteint 22,7 p.100 au moins des membres du P. C. parmi les marins, et les démissions volontaires représentaient une proportion équivalente.

Il y a eu de nombreuses tentatives d’étayer l’affirmation, due à l’origine à Trotsky, suivant laquelle le P. C. de Cronstadt et de la Flotte baltique contenait à l’époque une proportion de paysans bien plus forte que partout ailleurs ; elles ne sont guère convaincantes. Ainsi, la Flotte baltique de 1921 comptait parmi les Communistes 66,7 p. 100 qui étaient d’origine paysanne, mais ce pourcentage n’était guère plus élevé que dans les cellules de l’Armée rouge, où les paysans étaient en majorité à l’époque. Dans la population civile de Cronstadt, le Parti avait à l’époque 30,9 p. 100 de membres venant de la campagne. Là aussi, il n’y avait pas de disproportion marquée avec la composition du P. C. pour la Russie entière, qui comportait 28,2 p. 100 de paysans suivant les chiffres officiels, et sans doute plus encore en réalité. Il était vrai toutefois qu’un grand nombre de Bolchéviks anciens avaient quitté la marine, sur l’ordre du Parti, surtout pour recevoir d’autres affectations plus urgentes, notamment dans les transports, mais aussi dans certains cas pour supprimer accessoirement les foyers de mécontents qui commençaient à se former parmi les marins, auxquels on enlevait ainsi les meneurs.

Les troubles de Pétrograd ont fourni à la fin de février 1921 l’étincelle qui provoqua l’explosion de Cronstadt. Les marins avaient pris quelques contacts parmi les grévistes de la capitale et comptaient que les ouvriers mécontents ne manqueraient pas d’appuyer leurs revendications. Le 28 février, l’équipage du cuirassé Petropavlovsk votait la résolution qui devait servir de charte à l’insurrection. Les principales revendications étaient les suivantes : renouvellement immédiat des Soviets au scrutin secret, assorti de la liberté de propagande politique, "compte tenu du fait que les Soviets existants n’expriment pas la volonté des ouvriers et des paysans" ; liberté de parole et de presse en faveur "des ouvriers, des paysans, ainsi que des Anarchistes et des partis socialistes de gauche" ;

liberté de réunion et formation libre de syndicats ouvriers et paysans ; libération de tous les prisonniers politiques socialistes et de tous les ouvriers, paysans, soldats et marins emprisonnés "à propos de mouvements ouvriers et paysans" ; nomination d’une commission chargée de réviser le cas de tous les détenus dans les prisons et les camps de concentration ; suppression de tous les départements politiques spéciaux : dans l’armée, la marine et les transports, "car aucun parti unique ne peut bénéficier de privilèges pour la propagande de ses idées et de percevoir de l’argent de l’État à cet effet" ; égalité du rationnement, sauf pour les personnes employées aux travaux insalubres ; suppression de tous les détachements communistes spéciaux ; faculté absolue pour les paysans de "faire ce qu’ils veulent de leur terre" et d’élever leur propre bétail "à condition qu’ils n’emploient pas de main-d’oeuvre rétribuée" ; enfin le droit d’exploitation individuelle des entreprises artisanales à condition qu’elles aussi n’emploient pas de main-d’œuvre rétribuée.

C’était une résolution de caractère éminemment populaire, et même l’ingéniosité des historiens communistes ne parvient pas sans peine à y montrer des analogies avec le programme de l’un ou l’autre des partis de l’opposition non communiste. Par exemple l’absence de toute allusion à l’Assemblée constituante — les mutins de Cronstadt y étaient hostiles — tend à démontrer l’absence d’une influence prédominante des Sociaux-Révolutionnaires, car le rappel de l’Assemblée était un des points fondamentaux de leur politique. L’insistance sur les droits des paysans suffit à faire justice de toute affirmation qui tendrait à attribuer à ce texte une inspiration menchévique. Cependant le programme politique des marins peut fort bien avoir tiré ses qualités originales des contacts que les dirigeants des marins maintenaient avec les Anarchistes. C’est sans doute à cause de son caractère populaire que cette résolution, fort rarement reproduite ou même citée dans les sources soviétique, est souvent qualifiée par les auteurs soviétiques de revendication "déguisée" en faveur de la restauration du capitalisme".

A la nouvelle de cette résolution ouvertement anticommuniste, Kalinine, président du Comité exécutif central du Congrès panrusse des Soviets, se dépêcha d’arriver à Cronstadt dès le lendemain 1er mars 1921. Il était accompagné de Kouzmine, l’un des deux commissaires politiques attachés au Conseil militaire révolutionnaire de la Flotte baltique. Une grande réunion publique était organisée sur la place de l’Ancre, depuis longtemps fameuse comme forum révolutionnaire. Les deux dirigeants étaient reçus avec les honneurs militaires. La réunion était houleuse. Un silence se fit lorsque Kalinine prit la parole, mais l’on entendit bientôt des voix irritées de tous côtés : "Tais-toi, Kalinine, tu as une place bien chaude !" cria un matelot barbu : "Avec tous les postes que tu remplis, je suis sûr que tu touches une ration pour chacun !" Kouzmine, qui parvint à rappeler aux marins qu’ils étaient "l’orgueil de la révolution", s’entendit répondre vivement : "As-tu oublié comment tu as fait fusiller un homme sur dix sur le front du Nord ! A la porte !".

Ce qu’il y avait de plus grave à cette réunion, du point de vue communiste, c’était le fait que les Communistes de Cronstadt et de la Flotte baltique partageaient l’avis de la foule hostile ou ne le désavouaient pas ouvertement. Lors du scrutin au sujet de la résolution du Petropavlovsk, la réunion l’adopta à l’unanimité, moins les voix de Kalinine et de Vassiliev, président du Comité exécutif du soviet local. Présents en grand nombre dans la foule énorme qui assistait à la réunion et Tu atteignait douze mille personnes environ, les Communistes voterent en faveur de la résolution ou s’abstinrent. Ce trait particulier distingue la révolte de Cronstadt de tous les troubles qui avaient éclaté jusque-là en Russie soviétique. On estime qu’au moins 50 p. 100 des Communistes locaux ont appuyé activement les insurgés, tandis que 40 p. 100 sont demeurés "neutres". Durant la courte période pendant laquelle la place de Cronstadt est demeurée entre les mains des mutins, le parti local, qui comptait environ deux mille membres répartis entre les marins et la population civile, enregistra la démission d’un quart de ses effectifs.

Par la bouche de Zinoviev et de Trotsky, le Comité central s’empressa de qualifier l’insurrection des marins de tentative contre-révolutionnaire, fomentée de l’étranger par les "Gardes blancs" et conduite par les anciens officiers impériaux. Dans un moment de franchise, Lénine reconnut par contre qu’à Cronstadt "ils ne veulent pas des Gardes blancs, mais ils ne veulent pas non plus de notre régime". En dehors de cette déclaration, il s’en tint strictement à la ligne du P. C., à la vive déception des marins, qui "n’avaient jamais cru un mot de ce que disaient Zinoviev et Trotsky", mais qui ne s’attendaient pas à ceque Lénine se montre solidaire de "hypocrisie" générale du Parti. Le 2 mars 1921, les insurgés formèrent un Comité révolutionnaire provisoire, composé entièrement de matelots d’origine paysanne ou prolétarienne et présidé par Petritchenko, matelot-secrétaire à bord du Petropavlovsk. Loin de servir de chefs à l’insurrection, les quelques anciens officiers impériaux qui y participaient et l’approuvaient étaient en désaccord avec le Comité provisoire. Les officiers voulaient immédiatement établir une tête de pont sur le continent pour donner à la révolte la possibilité de s’étendre à la capitale. De son côté, le Comité, naïvement persuadé de la justesse de sa cause, rejetait leurs conseils et refusait tout recours aux armes qui ne se bornerait pas à défendre la forteresse en cas d’attaque.

Le gouvernement soviétique envoya immédiatement un ultimatum au Comité provisoire de Cronstadt, qui y répondit le 2 mars par le refus des insurgés. Les opérations militaires, conduites par Toukhatchevsky, s’engagèrent le 7 mars et, onze jours plus tard, les troupes soviétiques donnaient enfin l’assaut à la forteresse après une marche sur la glace du golfe de Finlande. Les troupes de l’Armée rouge, encadrées de cadets communistes des écoles d’officiers, ne furent pas faciles à conduire contre les marins ; deux cents délégués au Xe Congrès du P. C., qui s’était réuni le 8 mars en pleine révolte, avaient été affectés au front de Cronstadt. Après la prise de la base navale, la répression fit plusieurs centaines, sinon des milliers de victimes. Parmi eux, le gouvernement soviétique choisit une liste de treize prétendus meneurs pour en publier les noms ; il y avait parmi eux cinq anciens officiers, un ancien prêtre et sept paysans. Il n’y eut jamais de procès officiel à la suite de l’insurrection.

Depuis les Cadets jusqu’aux Anarchistes, tous les groupements non communistes en Russie et à l’étranger firent un accueil favorable à la nouvelle de la révolte des marins de la Baltique. Les Sociaux-Révolutionnaires, dont le siège était à Reval, offrirent leur aide militaire aux mutins qui la refusèrent à une majorité écrasante au cours d’une réunion spécialement convoquée pour en délibérer. Dans un article paru à Paris dans les Poslednia Novosti du 11 mars 1921, Milioukov inventa à l’usage des mutins le mot d’ordre : "Les Soviets sans Communistes", qu’on leur a toujours attribué depuis lors, mais qu’en réalité ils n’employèrent jamais.

Hors de Cronstadt, les dirigeants du P. C. serraient les rangs derrière le Comité central et approuvaient la répression qui suivit la révolte. Des Anarchistes étrangers qui se trouvaient alors à Moscou cherchaient à servir d’intermédiaires entre les Communistes et les marins de Cronstadt afin d’arrêter l’effusion de sang, mais ils ne purent trouver personne au parti communiste qui pût se décider à soumettre la question à ses dirigeants. Les délégués du Xe Congrès au front de Cronstadt comprenaient notamment des Centra-listes démocratiques et des membres de l’Opposition ouvrière. Les mêmes cadets de l’Armée rouge, qui avaient voté avec enthousiasme, au cours des semaines précédentes, les résolutions inflexibles de Mue Kollontaï étaient maintenant les combattants les plus acharnés contre les révoltés. Pendant l’insurrection, Loutovinov se trouvait à Berlin ; il déclara qu’il approuvait entièrement les mesures militaires décidées à Moscou et ajouta en guise d’explication que la liquidation de la révolte prenait un certain temps parce que le gouvernement soviétique "cherchait à épargner la population de Cronstadt".

Non seulement Trotsky approuvait pleinement à l’époque la répression de la révolte, mais il devait causer bien des années plus tard une sensation considérable dans les milieux antistaliniens de gauche en déclarant que l’emploi de la force avait été pleinement justifié et que l’insurrection avait eu essentiellement un caractère bourgeois et, par conséquent, contre-révolutionnaire. Si, en sa qualité de Commissaire du Peuple à la Guerre, il acceptait entièrement la responsabilité de l’action militaire, il n’a pas participé aux opérations, selon lui à cause de son conflit personnel avec Zinoviev. Les marins de la Flotte baltique avaient voté en faveur de la subordination politique au Comité du P. C. de Pétrograd, présidé par Zinoviev, aux dépens du Poubalt, directoire politique de la Flotte baltique, subordonné à Trotsky, ainsi qu’on l’a vu ci-dessus au chapitre XIV. Il prétend donc avoir craint qu’on interprète sa présence comme une manoeuvre visant à discréditer Zinoviev. Toutefois, Trotsky ne cherchait plus, en 1938, à faire admettre l’avis qu’il avait fait connaître urbi et orbi en 1921 et suivant lequel c’étaient les "Gardes blancs" qui avaient fomenté l’insurrection de Cronstadt.

Donc Lénine et le Comité central n’avaient guère de raison apparente de craindre que certains courants hostiles, et notamment les dirigeants de l’Opposition ouvrière, aient conservé en mars 1921 une sympathie cachée à l’égard des rebelles de Cronstadt. L’inimitié que les partisans de l’Opposition ouvrière témoignaient à l’égard des paysans en général rendait encore moins vraisemblable l’approbation de ce groupe en faveur d’un programme aussi marqué d’influence paysanne. On peut se demander dès lors pourquoi il a fallu imposer silence à l’Opposition ouvrière lors du Xe Congrès du Parti et justifier notamment cette mesure en alléguant que l’existence d’une opposition au sein du P. C. avait favorisé l’éclosion de l’insurrection de Cronstadt. La réponse la plus évidente est que la critique interne avait été gênante dans le passé, qu’elle risquait de le devenir encore plus dans l’avenir et que la révolte avait fourni un prétexte commode pour lui imposer silence.

Il y avait encore d’autres raisons. En marge de l’Opposition ouvrière, il y avait des éléments tout prêts à prendre fait et cause pour les paysans, et le Comité central estimait que toute l’étendue de ce danger était désormais apparue lors de la révolte de Cronstadt. Il y avait ainsi G. I. Miasnikov, personnage turbulent qui n’était pas signataire de la "plate-forme" de l’Opposition ouvrière, mais qui se montrait parfois disposé à apporter son appui à ce groupe ; il préconisait depuis 1920 la création de syndicats paysans pour remédier à la désaffection mutuelle du prolétariat et de la paysannerie. De même, si l’histoire du petit groupe conduit par Paniouchkine appartient à la période postérieure au Xe Congrès du Parti, elle montre néanmoins que les dirigeants communistes ont pu avoir, lors de ce congrès, quelque raison de soupçonner qu’il y avait, hors de Cronstadt, des milieux du parti communiste qui sympathisaient nettement avec les paysans.

Marin bolchévique qui s’était distingué au début de la révolution par des meurtres particulièrement atroces, Paniouchkine forma peu après le Xe Congrès un groupe intitulé "Parti socialiste ouvrier et paysan", qui présenta en septembre 1921 au Soviet de Moscou une pétition réclamant "tout le pouvoir pour les Soviets, et non pour les partis". Ses membres furent immédiatement arrêtés, mais auparavant Paniouchkine et ses partisans avaient réussi à tenir une réunion publique. Ce groupe tenta, au début de l’été de 1921, d’établir des contacts avec l’Opposition ouvrière, mais ne rencontra que méfiance chez les dirigeants de celle-ci et rien ne prouve qu’il y ait jamais eu des rapports quelconques entre les uns et les autres.

Même en dehors de ces dangers virtuels, il y avait une bonne raison de réduire l’Opposition ouvrière au silence à partir du moment où Lénine se décida à abandonner le communisme de guerre en faveur d’une politique de compromis à l’égard des entreprises privées. Dans sa forme définitive, la nouvelle politique économique ou "N. E. P." comportait trois éléments principaux : la substitution d’un impôt en nature aux réquisitions arbitraires de ravitaillement, destinée à encourager les paysans à produire plus de denrées alimentaires ; une légalisation étendue de la liberté en matière de commerce intérieur ; enfin l’octroi de concessions aux capitalistes privés pour qu’ils fassent fonctionner leurs entreprises industrielles.

Il ne semble pas que Lénine ait décidé à l’origine d’apporter cette modification majeure à sa politique à la suite de la révolte de Cronstadt. En premier lieu, s’il s’agissait d’encourager les paysans à produire davantage le plus tôt possible, il fallait procéder à cette réforme politique avant les semailles de printemps. Le 14 février, Lénine s’était entretenu avec une délégation paysanne de la région de Tambov, où les troubles dans la population rurale prenaient à l’époque les proportions d’une véritable guérilla. Il est tout au moins vraisemblable que ces entretiens avec des émissaires venus du principal foyer de la révolte paysanne aient présenté quelque lien avec la décision majeure qui allait avoir une telle importance pour la paysannerie.

En outre, la question d’un changement en matière de politique économique s’est posée pour la première fois au Bureau politique dès le 8 février 1921, et le projet de résolution correspondant, rédigé par Lénine, était prêt depuis le 18 février. Tout ceci précède de quelques semaines la révolte des marins. A la suite d’une décision prise au Politbureau, deux articles discrets parurent dans la Pravda du 17 et du 23 février sans attirer beaucoup d’attention. Il y était question des encouragements qu’on pourrait accorder aux paysans pour qu’ils étendent la surface de leurs emblavures et notamment de la possibilité d’instaurer un impôt en nature pour remplacer les réquisitions forcées. Ces articles omettaient cependant l’autre élément d’importance capitale pour cette politique : l’introduction légale du commerce libre pour les denrées que les paysans garderaient après avoir acquitté leurs obligations envers l’État. On y supposait au contraire que ces excédents serviraient uniquement d’articles de troc pour obtenir de l’État les produits manufacturés dont les paysans avaient besoin.

Ainsi, lorsque Lénine posa en mars 1921 la question de la nouvelle politique économique au Xe Congrès, aucune discussion préliminaire n’avait eu lieu à ce sujet au sein du P. C. Et même alors, Lénine attendit pour faire sa proposition la fin de la session, où la plupart des délégués étaient déjà partis ; le débat fut réduit à sa plus simple expression pour une proposition de Lénine qui constitue un véritable bouleversement politique, le débat n’occupe qu’une vingtaine de pages sur un total de trois cent trente que comporte l’édition originale du compte rendu sténographique des travaux du congrès.

Ce débat fut rapidement clos après quatre interventions d’environ dix minutes chacune à la suite de la présentation officielle des propositions par Lénine et Tsiouroupa. Cependant un délégué relativement inconnu parvint à attirer l’attention du Congrès sur le fait qu’en laissant les paysans vendre au marché libre les denrées excédentaires, on revenait vers le capitalisme. Trente délégués votèrent contre le projet.

En outre, la résolution de ce congrès ne concernait que le remplacement des réquisitions par l’impôt en nature et l’échange "sur le plan local" des denrées excédentaires qui demeureraient aux mains des paysans. Il n’y avait rien au sujet des concessions projetées en faveur du capital privé, qui constituent un autre élément important de la nouvelle politique ; même si le Politbureau n’avait pas encore pris de décision à ce sujet, il en était certainement averti. Toutefois, si l’on ne peut admettre que la décision concernant la N.E.P. constitue uniquement une conséquence de la révolte de Cronstadt, il est probable que le moment choisi en dépendait dans une certaine mesure. L’envoi des délégués du Xe Congrès au front ne se justifie pas uniquement par leur participation escomptée aux opérations militaires, mais surtout par le fait qu’ils "apportaient aux soldats-paysans indécis (de l’Armée rouge) la nouvelle du récent tournant de la politique du Parti à l’égard des paysans, du remplacement des réquisitions forcées de blé par l’impôt en nature et de l’extension du marché libre (en matière) d’échange des marchandises".

Il est aisé de comprendre la circonspection dont Lénine faisait preuve en exposant sa nouvelle politique au Parti. Il était évident qu’on s’y opposerait dès le début à un changement entraînant un bouleversement complet des principes fondamentaux qui avaient paru servir à édifier l’État soviétique. Le Parti, habitué à considérer la contrainte comme le moyen légitime d’obliger le paysan à livrer ses produits, prit du temps pour accepter une modification qui reconnaissait si peu que ce soit au producteur individuel paysan la qualité de participant libre à l’économie soviétique. Lorsqu’en décembre 1920 le VIIIème Congrès des Soviets avait adopté le plan d’Obolensky visant à employer la contrainte généralisée pour accroître la superficie emblavée au printemps de 1921, Lénine avait proposé une modification prévoyant l’octroi de primes aux meilleurs cultivateurs. Refusant à l’époque d’accepter une concession même aussi modeste à l’esprit d’entreprise des paysans, la "fraction" du Parti avait repoussé cette proposition et il avait fallu des efforts considérables pour la faire revenir sur ce rejet. Pourtant le nouveau projet présageait un changement bien plus radical dans la structure sociale du pays. Pour bien des années à venir après 1921, l’interprétation de la nouvelle politique économique et de ses incidences sur les buts du P. C. allait servir de pivot aux controverses et aux conflits intérieurs ; mais l’étude de ces désaccords appartient à une période plus récente de l’histoire politique de l’U. R. S. S. Il ne convient pour le moment que d’examiner l’effet qu’avait sur la tactique de Lénine sa décision de faire adopter au Parti une politique qui allait se heurter, comme il le prévoyait, à une vive opposition.

Comme résultat immédiat, la décision de s’engager dans la nouvelle politique économique entraîna l’élimination définitive des Menchéviks de l’arène politique. Cette mesure n’était pas dictée par le danger de les voir s’opposer à cette politique, mais par le fait qu’ils allaient l’approuver et l’appuyer : en réalité ils la recommandaient déjà depuis quelque temps. C’était pour eux la preuve qu’ils avaient eu raison d’affirmer que la Révolution d’octobre constituait, en dépit d’apparences contraires, une révolution bourgeoise qui appartenait aux classes moyennes et devait persister encore pendant quelque temps sous cette forme. Il était trop dangereux pour le prestige des Communistes et même pour la stabilité de leur régime qu’un parti auquel les événements donnaient raison demeurât libre d’exister. Ayant commis le crime d’avoir eu raison tandis qu’il était prouvé que les Communistes avaient eu tort, les Menchéviks devaient donc disparaître à jamais.

Cependant, au sein même du P. C., l’Opposition ouvrière, qui critiquait déjà avec sévérité ce qu’elle considérait comme des déviations bourgeoises dans la politique communiste, risquait fort d’accentuer ses critiques dès la mise en application de la N. E. P. et le compromis évident qu’on entrevoyait dans celle-ci vis-à-vis du capital privé risquait fort d’ajouter beaucoup de poids aux arguments de ce groupe. S’il s’agissait d’éviter de lui laisser prendre une influence dans le Parti, il fallait le discréditer définitivement avant de s’engager dans la réforme projetée. Lénine justifia sa décision visant à imposer silence à l’opposition extérieure et intérieure au P. C. en prétendant que l’argument des opposants communistes, selon lequel la N. E. P. constituait un "changement de politique" était identique au point de vue des Menchéviks et des Sociaux-Révolutionnaires. En dépit du fait que les partis socialistes et l’Opposition ouvrière réagissaient d’une manière diamétralement opposée à la N. E. P. elle-même, leur évaluation était identique en termes marxistes. Donc, affirmait Lénine, du moment que les principaux ennemis de la révolution se groupaient désormais autour des partis qui se prétendaient socialistes, on aurait exactement les mêmes raisons de réduire au silence à l’intérieur du Parti les opposants communistes qui adoptaient l’analyse des socialistes

En d’autres termes, puisque les Menchéviks et les membres de l’Opposition ouvrière affirmaient que la N. E. P. était une politique bourgeoise et non une politique socialiste et que, d’autre part, les Menchéviks étaient des "contre-révolutionnaires", il s’ensuivait donc que les partisans de l’Opposition ouvrière l’étaient aussi. Ce fut la première apparition en logique communiste d’une forme de syllogisme qui devait servir fort souvent depuis lors ; si A combat C et B combat C, il vient que A soutient B et que les buts de ces deux derniers sont rigoureusement identiques. Par exemple, puisque les marins de Cronstadt et les "contre-révolutionnaires" combattaient la dictature communiste, les premiers étaient également des contre-révolutionnaires. L’absurdité évidente de ces arguments n’apparaît pas facilement à l’esprit saturé d’antithèses schématiques propres à la dialectique marxiste ; c’est pourquoi il n’était pas difficile de convaincre la plupart des Communistes que les auteurs de critiques au sein de l’Opposition ouvrière prenaient fait et cause pour la contre-révolution, qu’ils le sachent ou non eux-mêmes, car, en dépit de leur désapprobation de la N. E. P., ils étaient d’accord avec les Menchéviks sur le fait que c’était un "changement radical de politique".

Lénine ne considérait pas sa nouvelle politique économique comme une mesure uniquement temporaire. Comme il l’a expliqué au Xe Congrès du Parti, l’échec des expériences de collectivisation n’avait rien de surprenant, "car la reconstruction de l’agriculture individuelle, la transformation de toute sa psychologie et de toutes ses habitudes est une tâche qui nécessite des générations". On ne pouvait y parvenir, selon lui, qu’en introduisant en grand l’industrialisation, l’électrification et l’usage des tracteurs, ainsi que d’autres améliorations techniques : "Lorsque je dis qu’il faudra des générations, je ne veux pas dire qu’il faudra des siècles" ; néanmoins, ajoutait-il, le développement de la grande industrie demanderait de toute façon un laps de temps "que l’on ne peut calculer... qu’en dizaines d’années". Deux mois plus tard, il donnait de nouvelles explications : "Le prolétariat dirige la paysannerie, mais cette classe ne peut pas être supprimée comme l’ont été les capitalistes et les propriétaires terriens. Il faut la transformer au cours d’une longue période, au moyen de grands efforts et avec de grandes privations".

Avec leurs malheurs et leurs misères, trois années et demie de révolution avaient ainsi fait aboutir Lénine à des opinions très voisines de celles qu’avaient en 1917 presque tous les marxistes qui le combattaient : qu’on ne devait tenter le socialisme qu’après une longue évolution préliminaire, à la fois économique et politique, si l’on admettait le marxisme. Puisque la forme politique de l’État est une expression des réalités économiques, ou "superstructure", il fallait nécessairement, tant que le capital privé conservait quelque pouvoir, que l’État présente au moins quelques aspects qui l’apparentent à la démocratie et aux classes moyennes. Dans cette forme, les intérêts rivaux des classes différentes s’expriment par les partis politiques qui les représentent. En outre, durant l’évolution, le prolétariat peut acquérir l’expérience politique nécessaire pour administrer l’État lorsque le temps viendrait pour lui de s’emparer de l’ensemble des pouvoirs économiques. En 1917, Lénine avait abandonné la notion de ce stade d’évolution ; les réalités économiques l’obligeaient à reconnaître qu’il faudrait des "générations" pour l’évolution économique. Donc, en toute logique, si la théorie marxiste est correcte, il fallait en même temps une période d’évolution politique entraînant la coexistence nécessaire de plusieurs partis politiques rivaux. Durant un peu plus de trois ans, le parti communiste, peu nombreux mais résolu, avait dicté sa volonté aussi bien aux ouvriers qu’aux paysans et n’avait réussi à remplir cette tâche écrasante qu’en imposant silence par la force à ses rivaux politiques. S’il leur permettait de revenir ensuite sur la scène politique, ce serait sans doute conforme à la logique et au marxisme, mais entraînerait la fin du monopole communiste au pouvoir.

Pourtant tout le danger ne provenait pas des rivaux politiques : les Menchéviks et les Sociaux-Révolutionnaires, car la N. E. P en créait un autre pour Lénine et le Comité central à l’intérieur du P. C. En dépit des désaccords et des dissensions, le Parti avait conservé jusqu’ici son unité face aux dangers communs. La foi en sa mission avait été assez forte pour prévenir la désunion et faire croire que celle-ci viendrait empêcher l’édification du socialisme. La nouvelle politique économique risquait désormais d’effacer cette foi non seulement chez les partisans de l’Opposition ouvrière, mais beaucoup d’autres membres du Parti pourraient penser que celle-ci n’exagérait en rien lorsqu’elle entrevoyait des déviations bourgeoises dans la politique du P. C. et accusait les dirigeants de favoriser les paysans. Dorénavant, Lénine devrait compter avec la possibilité d’un mouvement dissident qui pourrait se former au sein du Parti et devenir assez puissant par la suite pour lui enlever le pouvoir.

Engels avait prévu que le chef d’un parti extrémiste qui s’emparerait prématurément du pouvoir se trouverait dans "une situation anormale" : c’est à peu près ce qui arrivait à Lénine. Pour garder le pouvoir, il lui fallait dorénavant appliquer à l’intérieur du parti communiste les méthodes arbitraires dont il s’était servi contre les partis socialistes. Ainsi, il fallait que la contrainte se substitue à la discussion et que l’unité fondée jusqu’ici sur la foi et la communauté des buts poursuivis soit imposée par la force. Lénine l’a expliqué quelques mois après le Xe Congrès du Parti : "Il faut faire entrer encore et toujours dans la tête (des Communistes) qu’après tout le caractère des réunions, congrès, conférences et consultations au sein du parti communiste et en Russie soviétique ne peut pas demeurer ce qu’il était autrefois et ce qu’il est encore pour nous, lorsque l’on échange des discours dans un esprit d’opposition parlementaire, après quoi on rédige une résolution. Il faut que nous passions notre temps à agir et non à rédiger des résolutions".

Mais si l’on n’attend pas la fin du débat pour rédiger les résolutions, alors il faut créer un parti docile et dépourvu de sens critique qui acceptera d’avance tout ce que lui ordonnera le Comité central. Pour réaliser un parti de ce genre, il fallait créer un appareil central nouveau, assez dépourvu de scrupules pour manœuvrer à sa guise l’ensemble des effectifs du Parti. L’offensive de Zinoviev contre les hommes qui manipulaient l’appareil du Parti avait commencé bien avant le Xe Congrès. Le signal d’alarme que donnaient les événements de Cronstadt une semaine avant l’ouverture de ce congrès a donné à Lénine la possibilité de s’assurer, peut-être pour des raisons inattendues, que cette attaque serait couronnée de succès.