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les révolutions de 1917 à 1921
La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

Que s’est il passé en 1917 en Russie ?
Chronologie de Février 1917 à Octobre 1917

Le texte ci-dessous est extrait d’un long article intitulé Les bolcheviks et le contrôle ouvrier, 1917-1921 écrit par Maurice Brinton membre du groupe britannique Socialism reaffirmed qui publiait Solidarity et publié en français dans la revue Autogestion et socialisme, cahier N°24-25, en septembre-décembre 1973.

Nous n’avons extrait que ce qui concerne ce qui s’est passé avant l’insurrection d’Octobre.
La totalité du texte est disponible en pdf à la fin du texte, dans le postscriptum.


Février

Grèves et émeutes provoquées par la famine à Pétrograd ; violentes manifestations contre le gouvernement. Des troupes envoyées pour rétablir l’ ordre fraternisent avec les manifestants. Les soviets réapparaissent dans plusieurs villes, pour la première fois depuis 1905.

27 Février

Abdication de Nicolas II. Formation d’un gouvernement provisoire (avec le Prince Lvoff comme Premier Ministre).

Mars

Comités d’Usines et d’ateliers, Conseils Ouvriers et Conseils des Anciens apparaissent dans tous <exergue|texte=Conseils Ouvriers et Conseils des Anciens apparaissent dans tous les grands centres industriels de la Russie occidentale|position=right>les grands centres industriels de la Russie occidentale. D’emblée, leurs revendications ne portent pas uniquement sur les salaires et les horaires, mais mettent en question de nombreuses prérogatives de la direction. Dans bien des cas, les Comités d’usine se créèrent parce que les anciens propriétaires ou directeurs avaient disparu pendant la tourmente de Février. On permit à la plupart de ceux qui revinrent plus tard de reprendre leurs anciennes fonctions - mais ils durent accepter les Comités d’Usine. « Le prolétariat, écrivait Pankratova, sans attendre une sanction législative commença à fonder presque simultanément toutes ses organisations : les Soviets des députés ouvriers, les syndicats et comités d’usines » . Une formidable poussée ouvrière se développait dans toute la Russie.

10 Mars

Première défaite avouée d’un nombre important de patrons. Un accord signé entre le Comité Exécutif du Soviet de Pétrograd et l’Association des industriels de Pétrograd, garantit la journée de 8 heures dans certaines entreprises et « reconnaît » quelques Comités. La plupart des autres employeurs refusèrent d’en faire autant. Le 14 Mars, par exemple, le Comité du commerce et de l’industrie déclara que « la question de la journée de 8 heures ne peut pas être résolue par un accord réciproque entre patrons et ouvriers, car son importance en fait une affaire d’État ». Ce fut là-dessus que les Comités d’usine livrèrent leur première grande bataille. La journée de 8 heures fut bientôt la règle à Pétrograd ; parfois avec le consentement, donné à contre-cœur, des employeurs — et parfois imposée unilatéralement par les ouvriers. La « reconnaissance » des Comités d’usine fut beaucoup plus difficile à imposer, les patrons et l’État se rendant compte de la menace que cette forme d’organisation représentait pour eux.

Avril

2 Avril

Conférence préparatoire des Comités d’usine des Industries de Guerre de Pétrograd, réunie sur l’initiative des ouvriers du Département de l’Artillerie. La Conférence vota une « constitution d’usine » dont les paragraphes 5 à 7 représentent la position la plus avancée du moment en ce qui concerne les attributions des Comités : « Du comité d’usine viennent toutes les ordonnances concernant le règlement intérieur fixé par la loi (comme la réglementation du temps de travail, salaires, embauche et licenciement, congés, etc.), avec notification au directeur de l’usine ou de la section ». « Tout le personnel administratif : cadres supérieurs, chefs de section ou d’atelier, techniciens, est engagé avec l’accord du Comité d’usine qui doit en faire la déclaration lors de la réunion générale de toute l’usine, ou par l’intermédiaire des comités d’atelier ». « Le Comité d’usine contrôle l’activité de la direction dans les domaines administratifs, économiques et techniques (...) Pour le tenir au courant, tous les documents officiels de la direction, le budget de production et le détail de tous les articles qui entrent ou sortent de l’usine doivent être présentés au représentant du Comité »

7 Avril

Publication des Thèses d’Avril, peu après le retour de Lénine de l’étranger à Pétro grad. L’unique référence au contrôle ouvrier se trouve dans la 8èm e Thèse : « Notre tâche immédiate est non pas d’« introduire » le socialisme, mais uniquement de passer tout de suite au contrôle de la production sociale et de la répartition des produits par les S oviets des députés ouvriers ».

23 Avril

Le nouveau gouvernement dut faire quelques concessions verbales. Il passa une loi « reconnaissant » partiellement les Comités, mais qui restreignait prudemment leur influence, et faisait dépendre la solution de tous les problèmes essentiels de « l’accord réciproque des parties concernées » — ce qui revenait à dire que d’après la loi, les patrons n’étaient nullement tenus de traiter directement avec les Comités. Les ouvriers ne firent pas grand cas des mesures prévues par la loi. Ils déterminèrent leurs propres droits, dans chaque usine, en élargissant les cadres de leur propre « constitution » d’usine, et, écrit Pankratova « en définissant les pouvoirs de leurs représentants selon les rapports des forces. Pas une ville, pas une entreprise plus ou moins importante où les ouvriers eux-mêmes ne commentèrent la loi du 23 Avril en inventant leurs propres « statuts », « règles » ou instructions »

Lénine écrit : « Il faut absolument exiger et, autant que possible, réaliser par la voie révolutionnaire, des mesures comme la nationalisation du sol, de toutes les banques et de tous les syndicats capitalistes ou, à tout le moins, un contrôle immédiat des Soviets des députés ouvriers et autres sur ces établissements, mesures qui n’ont rien à voir avec l’« introduction » du socialisme ». Sans ces mesures, « parfaitement réalisables, du point de vue économique », il est « impossible de guérir les blessures causées par la guerre et de conjurer la catastrophe imminente ».

Aux idées fondamentales de Lénine sur le contrôle ouvrier comme « moyen de pression sur les capitalistes » et « moyen de conjurer la catastrophe imminente », allait s’ajouter rapidement une troisième qui revient souvent dans les écrits de Lénine de cette période. C’est la conception du contrôle ouvrier comme « prélude à la nationalisation ». Par exemple : « Nous devons dès maintenant préparer les Soviets des députés ouvriers, le Soviet des députés des employés de Banque, etc.. à procéder à l’adoption de mesures pratiques et réalistes pour la fusion de toutes les banques en une seule banque nationale, qui seraient suivies par l’établissement du contrôle de s Soviets de députés ouvriers sur les banques et les syndicats capitalistes et ensuite par leur nationalisation » .

Mai 1917

Le nombre de patrons qui devaient « tenir tête » au x Comités d’usine augmentait sans cesse. La presse bourgeoise lança une campagne massive contre la journée de 8 heures et contre les Comités, essayant de discréditer les ouvriers aux yeux des soldats en les présentant comme des éléments paresseux, cupides, bons à rien, qui conduisaient le pays à la ruine avec leurs revendications « abusives ». La presse ouvrière expliquait patiemment les causes réelles de la stagnation industrielle, et quelles étaient les véritables conditions de vie de la classe ouvrière. Sur l’invitation de nombreux Comités d’usines, des délégués de l’armée arrivèrent pour se rendre compte eux-mêmes sur place de la situation à « l’arrière » — et purent ainsi confirmer publiquement que les ouvriers ne mentaient pas...

17 Mai

Lénine appuie explicitement dans la Pravda le mot d’ordre du contrôle ouvrier, déclarant que « les travailleurs doivent demander la réalisation immédiate du contrôle, effectif et sans exceptions, par les travailleurs eux-mêmes ».

20 Mai

Lénine présente un projet pour un nouveau programme du Parti : « Le Parti lutte pour une république ouvrière et paysanne plus démocratique dans laquelle la police et l’armée permanentes seront complètement abolies, et remplacées par l’armement généralisé du peuple, par une milice populaire. Non seulement tous les fonctionnaires seront élus, mais ils pourront être révoqués à tout moment à la demande de la majorité des électeurs. Tout fonctionnaire, sans exception, aura un salaire qui n’excédera pas le salaire moyen d’un ouvrier qualifié ». Au même moment, Lénine appelle à la « participation (c’est nous qui soulignons, M. B.) inconditionnelle des travailleurs au contrôle des affaires des cartels » — qui pourrait être obtenue « par un décret qui pourrait être rédigé en un seul jour » . L’idée selon laquelle la « participation ouvrière » peut être introduite par des moyens législatifs (c’est-à-dire par le haut), a donc un précédent illustre.

20 Mai

Conférence des Comités d’usine de Kharkov. Par certains côtés, les provinces étaient en avance sur Pétrograd et Moscou. La conférence de Kharkov demanda que les Comités d’usine deviennent « des organes de la Révolution... cherchant à consolider ses victoires ». « Les Comités d’usine doivent prendre en main la production, la sauvegarder, la porter à son point maximum (...) Enfin, ils sont chargés de la fixation des salaires, des conditions d’hygiène, du contrôle de la qualité technique des produits, de l’élaboration des règlements intérieurs et d e la solution des conflits ». Certains délégués non bolcheviks n’hésitent pas à proposer que les comités prennent en charge directement toutes les fonctions de direction.

30 Mai-5 Juin

Première Conférence générale des Comités d’usine de Pétrograd. La Conférence se réunit dans le Palais de Tauride, dans la même pièce où trois mois auparavant s’était tenue la Douma (le parlement). La moitié au moins des Comités représentés venaient de l’industrie mécanique. « Les discours longs et ampoulés des parlementaires bourgeois de la Douma avaient ici cédé la place aux répliques sincères, simples, généralement concises de « députés » qui venaient de quitter leur outils et leurs machines afin d’exprimer pour la première fois publiquement leurs humiliations et leurs besoins aussi bien de classe que d’êtres humains ».

Les délégués bolcheviks étaient majoritaires. Bien que la plupart de leurs interventions aient tourné autour de la nécessité d ’introduire le contrôle ouvrier pour « rétablir l’ordre » et « maintenir la production », d’autres voix se firent entendre dans leurs rangs. Nemtsov, un métallurgiste bolchevik, déclara qu’« à l’heure actuelle, dans toutes les usines règne l’arbitraire. L a marche de l’usine se trouve entre les mains de la seule administration supérieure : il faut introduire le principe de l’élection. Pour évaluer le travail effectué (...) nous n’avons pas besoin des décisions individuelles des contremaîtres. Si nous introduisons le principe de l’élection, nous pourrons contrôler la production ». Un autre délégué, Naoumov, affirma qu’« en prenant entre nos mains le contrôle de la production, nous apprendrons pratiquement à travailler activement dans la production même et nous relèverons au niveau de la production socialiste future » .

Nous sommes ici bien loin de l’apologie de l’« efficacité » de la « direction par un seul homme » que firent ultérieurement les bolcheviks, et du système de nomination par en haut qu’ils appliquèrent plus tard. La Conférence rencontra un écho considérable. Même M. I. Skobelev, le ministre du Travail menchevik dans le Gouvernement Provisoire, dut y prendre la parole. Son exposé est intéressant dans la mesure où il anticipe sur les propos que tiendront les bolcheviks avant la fin de l’année : « La régulation et le contrôle de l’industrie, c’est l’affaire de l’État. Toutes les classes, et tout particulièrement la classe ouvrière, doivent aider l’État dans son travail d’organisation ». Il déclara également que « le transfert des entreprises entre les mains du peuple à l’heure actuelle ne serait nullement utile à la Révolution ». La régulation de l’industrie était la fonction du Gouvernement, et non celle des Comités d’usine autonomes. « Ce qu e pourraient faire de mieux les comités pour servir la cause des ouvriers ce serait de devenir des unités subordonnées à un réseau national de syndicats ».

Rozanov, l’un des fondateurs des Syndicats ouvriers professionnels, exposa un point de vue similaire. Il affirma que « les fonctions de s comités d’usine étaient éphémères » et que « les Comités d’usine devaient constituer les cellules de base des syndicats », mais il fut violemment critiqué. Tel est pourtant le rôle auquel, au bout de quelques mois, les réduisit la pratique bolchevique. Les bolcheviks critiquèrent cependant l’idée de Rozanov à ce moment-là (les syndicats étant encore en grande partie sous l’influence des mencheviks). Le discours de Lénine à la Conférence laissait entrevoir les mesures à venir. Il expliqua que le contrôle ouvrier signifiait qu’« une majorité de travailleurs devrait entrer dans les institutions responsables et que l’administration devrait rendre compte de ses actions aux organisations ouvrières les plus représentatives » . Il était clair que, pour Lénine, le « contrôle ouvrier » impliquait une « administration » qui n’était pas celle des ouvriers eux-mêmes.

La résolution finale, approuvée par 336 délégués sur 421, déclarait que les Comités d’usine étaient « des organisations de lutte, élues sur la base de la démocratie la plus large et avec une direction collective ». Leurs objectifs étaient la « création de nouvelles conditions de travail ». La résolution demandait « l’organisation d’un contrôle minutieux des travailleurs sur la production et la distribution » et « une majorité prolétarienne dans toutes les institutions ayant un pouvoir exécutif ».

Les semaines qui suivirent connurent une extension considérable des comités d’usine. Partout où ils étaient assez forts (déjà avant, mais surtout après la Révolution d’Octobre, quand ils furent soutenus par les Soviets locaux) les Comités « n’hésitèrent pas à évincer la direction, et assumèrent le contrôle direct de leurs usines respectives » 33 .

16 Juin

Premier Congrès Panrusse des Soviets.

20-28 Juin

Une conférence syndicale tenue à Pétrograd adopta une résolution qui stipulait que « les syndicats défendent les droits et les intérêts de la classe ouvrière (...) et ne peuvent donc assumer des fonctions administratives et économiques dans la production » . Quant aux Comités d’usine, leur seul rôle était de vérifier « que les lois pour la défense des travailleurs et les conventions collectives conclues par les syndicats étaient respectées ». Les Comités d’usine devaient lutter pour l’entrée de tous les travailleurs de l’entreprise dans les syndicats.

Ils devaient aussi « travailler pour renforcer et développer les syndicats, contribuer à l’unité dans leur lutte » et « renforcer l’autorité des syndicats aux yeux des travailleurs inorganisés » . Les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires qui dominaient cette Conférence étaient pour le moins réticents vis-à-vis des Comités d’usine. Ils exprimèrent leur méfiance en insistant pour que les Comités soient élus sur la base de listes présentées par les syndicats.

Les thèses bolcheviks, présentées à la conférence par Glebov-Avilov, proposaient la création et le rattachement à l’administration centrale des syndicats de « commissions de contrôle économique ». Ces commissions devaient être composées de membres des Comités d’usine et devaient coopérer avec ceux- ci dans chaque entreprise. Les Comités d’usine non seulement rempliraient des « fonctions de contrôle » pour les syndicats, mais ils dépendraient aussi financièrement du syndicat. La Conférence créa un Conseil Panrusse des Syndicat s, dont les représentants furent élus proportionnellement à la force numérique des diverses tendances politiques en présence à la Conférence. Les bolcheviks jouaient alors sur les deux tableaux, cherchant à étendre leur influence, et dans les syndicats, et dans les Comités ; et quand la poursuite de ce double objectif exigeait qu’ils tiennent deux langages différents, ils n’hésitaient pas à le faire.

Dans les syndicats étroitement contrôlés par les mencheviks, les bolcheviks demandaient une large autonomie pour les Comités d’usine ; dans les syndicats qu’ils contrôlaient eux-mêmes, ils montraient infiniment moins d’intérêt pour la chose.

Il faut rappeler ici en quelques mots quel fut le rôle des syndicats avant et immédiatement après la Révolution de Février.

Avant 1917, les syndicats avaient eu relativement peu d’importance dans l’histoire du mouvement ouvrier russe. L’industrie russe en était encore à ses débuts. Le tsarisme (du moins jusqu’à la fin du XIXème siècle) avait persécuté et condamné à la clandestinité l’organisation syndicale. « En supprimant le syndicalisme, le tsarisme — écrit Deutscher — avait, sans le vouloir, favorisé l’organisation politique révolutionnaire (...). Seuls les ouvriers les plus politisés, ceux qui étaient prêts à aller en prison et en exil pour leurs convictions, pouvaient désirer rejoindre les syndicats dans ces circonstances (...) Alors qu’en Grande-Bretagne le Labour Party avait été créé par les syndicats, les syndicats russes, dès leur formation, vécurent à l’ombre du mouvement politique ». L’analyse est correcte, mais elle a cependant des implications plus profondes, que Deutscher lui-même n’a probablement pas saisi. Les syndicats russes, en 1917, reflétaient justement ce développement spécifique du mouvement ouvrier russe . D’un côté, les syndicats étaient les auxiliaires des partis politiques, qui les utilisaient pour recruter des adhérents et comme une masse à manœuvrer ; de l’autre, le mouvement syndical, qui avait connu un certain renouveau après février était animé par les ouvriers les plus avancés : la direction des divers syndicats reflétait l’influence prédominante d’une sorte d’élite intellectuelle, favorable d’abord aux mencheviks et aux socialistes-révolutionnaires, et qui, dans des proportions variables, se rallia plus tard aux bolcheviks. Il est important de comprendre que, dès le début de la révolution, les syndicats étaient étroitement contrôlés par les organisations politiques (ce qui explique du reste la facilité avec laquelle le Parti put manipuler ultérieurement les syndicats). Cela explique aussi en partie pourquoi les syndicats (et leurs problèmes) furent fréquemment le champ de bataille où les dirigeants du parti réglèrent à plusieurs reprises leurs divergences politiques. Si on ajoute à cela le fait que tout le développement antérieur du Parti (y compris sa structure fortement centralisée et ses conceptions d’organisation de type hiérarchique) avait tendu à le séparer de la classe ouvrière, on peut comprendre à quel point tout s’opposait, dans ce contexte, à l’expression autonome, ou même à la défense des aspirations réelles de la classe ouvrière. Dans une certaine mesure, celles-ci purent s’exprimer plus facilement à travers les Soviets que dans le parti ou les syndicats.

Quoiqu’il en soit, le nombre de travailleurs syndiqués augmenta rapidement après Février, car les ouvriers mirent à profit leur liberté nouvellement acquise. « Pendant les premiers mois de 1917, le nombre des adhérents (des syndicats) passa de quelques milliers à un million et demi (...). Mais le rôle qu’ils jouèrent fut sans rapport avec leur force numérique (...). Les grèves de 1917 n’eurent jamais l’envergure et la force de celles de 1905 (...). L’ effondrement économique de la Russie, l’inflation galopante, la rareté des biens de consommation, etc ., faisaient que la lutte pour les revendications « économiques » immédiates habituelles semblait très peu réaliste. Si on y ajoute la menace de mobilisation suspendue au-dessus de la tête de tout gréviste éventuel, on comprend que la classe ouvrière ne fut pas disposée à lutter pour des avantages économiques limités et des réformes partielles. Ce qui était en jeu, c’était l’ordre social russe dans son ensemble ».

Juin - Juillet

Efforts persistants des mencheviks pour subordonner complètement les Comités d’usine et de fabrique aux syndicats. Mais les Comités résistèrent victorieusement grâce à une alliance temporaire d’anarchistes — qui s’y opposaient par principe — et de bolcheviks poussés par des considérations tactiques. Le mouvement autonome des Comités d’usine atteignit son plus haut degré de développement et son expression la plus combattante dans la construction mécanique (ce qui explique la rigueur dont durent faire preuve les bolcheviks en 1922 pour en finir avec l’indépendance des organisations des ouvriers de l’industrie mécanique).

26 Juillet - 3 Août

Sixième Congrès du Parti

Milioutine déclare : « nous nous tiendrons sur la crête de la vague de revendications économiques du mouvement des ouvriers et nous transformerons ce mouvement spontané en un mouvement politique conscient contre le pouvoir d’État existant »

7- 12 Août

« Deuxième conférence des Comités d’usine de Pétrograd, ses environs et les Provinces voisines », à l’Institut Smolny.

La Conférence décida que 0,25% des salaires de tous les travailleurs représentés devrait servir à soutenir un « Soviet Central des comités d’usine », ce qui le rendrait indépendant financièrement des syndicats.

Les militants de base des Comités d’usine assistèrent à la création de ce « Soviet Central » avec des sentiments assez mélangés. D’une part, ils comprenaient très bien la nécessité d’une coordination ; mais ils voulaient également que cette coordination soit organisée par la base, par eux-mêmes. Ils étaient nombreux à se méfier des motivations des bolcheviks , qui avaient pris l’initiative de proposer la créa tion bureaucratique de ce « Soviet Central ». Le bolchevik Skrypnik, parlant des difficultés rencontrées par le Soviet Central des Comités d’usine, les attribua it plus tard « en partie aux travailleurs eux- mêmes ». Les Comités d’usine « étaient peu disposés à libérer leurs membres pour qu’ils puissent travailler au Centre ». Quelques Comités « s’abstinrent de participer au Soviet Central parce que les bolcheviks y prédominaient ». V.M. Levine, un autre bolchevik se plaignait de c e que « les travailleurs ne faisaient pas de distinction entre la notion de contrôle et celle d’expropriation ».

La seconde Conférence adopta un grand nombre de statuts, réglant le travail des Comités, signalant quels étaient les devoirs de la direction (sic !), les procédures d’élection des Comités, etc.. Il fut décidé que « tous les décrets des comités d’usine » auraient force de loi « pour l’administration de l’usine comme pour les travailleurs et les employés — à moins que ces décrets soient abolis par le Comité lui-même, ou parle Soviet Central des Comités d’usine ». Les comités devaient se réunir régulièrement pendant les heures de travail, les réunions ayant lieu aux jours décidés par les Comités eux-mêmes. Les patrons verseraient aux membres des Comités leur salaire intégral, même quand ceux-ci s’occupaient des affaires du Comité.

Si un membre du Comité d’usine abandonnait son travail pour se consacrer aux affaires du Comité, il lui suffisait d’en avertir le personnel administratif compétent. Entre les réunions, des membres élus occuperaient des locaux à l’intérieur de l’usine, où ils pourraient recevoir les informations des ouvriers et employés. L’administration de l’usine fournirait des fonds « pour le fonctionnement et les activités des Comités ».

Les Comités d’usine auraient le droit de « contrôler la composition de l’administra tion et de renvoyer ceux qui seraient incapables de garantir des rapports normaux avec les travailleurs , ou qui seraient par ailleurs incompétents ». « Aucun membre du personnel administratif ne pourra entrer en fonctions sans le consentement du Comité d’usine, qui devra faire connaître ses décis ions dans les Assemblées générales de l’usine, ou par l’entremise des Comités de section ou d’atelier ». C’était également au Comité d’usine de fixer le « règlement intérieur » de l’usine (temps de travail, salaires, congés, etc.). Les Comités d’usine auraient leur propre presse et devraient « informer les travailleurs et employés de l’entreprise des décisions prises en les affichant dans un endroit visible par tous ». Mais, comme devait le rappeler avec réalisme le bolchevik Skrypnik à la Conférence , « nous ne devons pas oublier que ce ne sont pas des statuts normaux approuvés par le Gouvernement. Il s’agit de notre plate-forme, des revendications de base qui doivent guider notre lut te ». La légitimité de ces revendications était fon dée sur le « droit coutumier révolutionnaire ».

3 Août

Le Gouvernement provisoire lance une campagne contre les Comités d’usine dans les chemins de fer. Le vice-ministre de la marine, Kukel, propose la proclamation de la loi martiale dans les chemins de fer et la création de commissions mandatées pour « dissoudre les Comités ». (C’est la voix de la bourgeoisie en 1917 — et non pas celle de Trotsky en août 1920 ! Voir là-dessus août 1920).

A une réunion de « discussion avec la base » patronnée par le Gouvernement provisoire et qui eut lieu à Moscou le 10 Août, le rapporteur Radionov attribua à l’existence des Comités la responsabilité de l’état catastrophique des chemins de fer. « Selon l’enquête faite au Congrès des chefs de chemin de fer, sur les 37 voies, 5 531 hommes ont été désignés pour participer aux Comités. Ces personnes sont libérées de tout service. Si l’on calcule que chacune d’elles touche en moyenne 2000 roubles, (minimum) on comprend alors que cette plaisanterie coûte à l’État 11 millions de roubles. Cela concerne 37 voies et il y en a plus de 60 ... ).

Struve, l’idéologue et économiste bourgeois bien connu, écrivait à la même époque : « De même que, dans le domaine militaire, l’élimination des officiers par les soldats est la destruction de l’armée (car elle signifie la légalisation du droit à la révolte, incompatible avec son existence même), ainsi dans le domaine économique, la substitution du pouvoir du patron par la direction des ouvriers est la destruction de l’ordre normal de la vie économique de toute entreprise » .

Ce même mois, une Conférence patronale se tint un peu plus tard à Pétrograd. Elle créa une Union des Associations Patronales dont la principale mission, selon son président Bymanov, était « l’élimination de l’ingérence des Comités d’usine dans les fonctions directoriales ».

11 Août

Parution du premier numéro de Goloss Trouda, publié en Russie par l’Union de Propagande anarcho-syndicaliste.

25 Août

Goloss Trouda publie un éditorial célèbre intitulé « Questions de l’heure » : « Nous disons aux ouvriers, aux paysans, aux soldats, aux révolutionnaires russes : avant tout et surtout, continuez la Révolution. Continuez à vous organiser solidement et à relier entre eux vos organismes nouveaux : vos communes, vos unions, vos comités, vos Soviets. Continuez — avec fermeté et persévérance, toujours et partout — à participer de plus en plus largement, de plus en plus efficacement, à l’activité économique du pays. Continuez à prendre entre vos mains, c’est-à-dire entre les mains de vos organisations, toutes les matières premières et tous les instruments indispensables pour votre travail. Continuez à éliminer les entreprises privées. Continuez la Révolution ! N’hésitez pas à affronter la solution de toutes les questions brûlantes de l’actualité. Créez partout les organes nécessaires pour réaliser ces solutions. Paysans, prenez la terre et mettez-la à la disposition de vos propres comités. Ouvriers, préparez-vous à mettre entre les mains et à la disposition de vos propres organismes sociaux — partout sur place — les mines et le sous-sol, les entreprises et les établissements de toutes sortes , les usines et les fabriques, les ateliers, les chantier s et les machines » .

Trois mois plus tard, le numéro 14 du même journal pressait les lecteurs de commencer immédiatement à « organiser la vie économique et sociale du pays sur des bases nouvelles. Alors commencera à se réaliser facilement, et d’une façon naturelle, une sorte de « dictature du travail ». Et le pays entier saura, peu à peu, s’y faire ». Il y eut pendant cette période un certain nombre de grèves importantes (grèves des tanneurs et des ouvriers du textile de la région de Moscou, des ouvriers de l’industrie des constructions mécaniques de Pétrograd, des ouvriers du pétrole de Bakou, des mineurs du Donbas). « On y relève un trait commun caractéristique : les patrons faisaient des concessions en augmentant les salaires, mais refusaient catégoriquement de reconnaître les droits des Comités d’usine. Les ouvriers en grève (...) défendaient jusqu’au bout non pas tant l’augmentation des salaires que la reconnaissance des droits de leurs organisations d’usine » 49 . Le droit pour les Comités de décider de l’embauche et du licenciement était l’une des revendications les plus importantes.

De plus en plus nombreux étaient ceux qui voyaient les faiblesses de la « loi » du 23 avril, et chez qui la revendication du pouvoir pour les Soviets commençait à rencontrer un écho. « Ainsi dans la lutte pour la « constitution d’usine » la classe ouvrière a compris la nécessité de devenir elle-même le maître de l’entreprise » .

28 Août

En réponse .à la campagne chaque jour plus violente de la presse bourgeoise contre les Comités d’usine et « l’anarchisme de la classe ouvrière », le menchevik Skobelev, ministre du travail publia sa fameuse « circulaire N° 421 » interdisant les réunions des Comités d’usines pendant les heures de travail (« étant donné qu’il est nécessaire de consacrer toutes les énergies et toutes les secondes à un travail intensif »). La circulaire autorisait la direction à déduire des salaires le temps perdu par les travailleurs en assistant aux réunions des Comités.

Et cela au moment même où Kornilov marchait sur Pétrograd, et où « les ouvriers se dressaient menaçants, prêts à défendre la révolution sans se soucier de savoir s’ils le faisaient ou non pendant les heures de travail » .

Septembre

Le Parti Bolchevik obtient la majorité dans les Soviets de Pétrograd et de Moscou.

10 Septembre

Troisième Conférence des Comités d’usine. Le 4 Septembre, une autre circulaire du Ministère d u Travail spécifiait que le droit d’embauche et de licenciement des ouvriers appartenait au propriétaire de l’entreprise. Le Gouvernement Provisoire, qui commençait à regarder avec la plus grande inquiétude le développement des Comités d’usine, s’efforçait désespérément de limiter leur pouvoir. Le menchevik Kolokolnikov assistait à la Conférence comme représentant du Ministère du Travail. Il prit la défense des circulaires. Il « expliqua » que les circulaires ne privaient pas les travailleurs du droit de con trôle sur l’embauche et le licenciement... mais seulement du droit d’embaucher et de licencier. « Comme les bolcheviks le firent eux-mêmes plus tard, Kolokolnikov définissait le contrôle comme supervision des décisions, par opposition au droit de prendre les décisions » 52 (35). À la Conférence, un ouvrier appelé Afinogenev affirma que « tous les partis, y compris les bolcheviks, faisaient miroiter aux yeux des travailleurs la promesse du Royaume de Dieu sur la terre dans une centaine d’années (...). Nous n’avons pas besoin d’améliorer notre condition dans une centaine d’années, mais maintenant, immédiatement » 53 (36). La Conférence, qui n’eut que deux sessions, décida qu’elle chercherait à obtenir l’abolition immédiate des circulaires.

14 Septembre

Réunion d’une Conférence Démocratique organisée par le gouvernement. Soulignant que les tâches des Comités d’usine « diffèrent essentiellement » de celles des syndicats, les bolcheviks demandèrent 25 sièges pour les Comités d’usine (c’est-à-dire un nombre égal à celui que le gouvernement avait accordé aux syndicats).

26 Septembre

Lénine écrit : « le gouvernement des Soviets doit introduire immédiatement, d’un bout à l’autre de l’État, le contrôle ouvrier sur la production et la distribution ». « Un tel contrôle mettra en échec (...) la famine et la catastrophe d’une ampleur sans précédent dont la menace grandit de semaine en semaine ». Depuis plusieurs semaines les patrons, de plus en plus fréquemment, utilisaient le lock-out pour essayer de briser le pouvoir des Comités.

Entre mars et août 1917, 586 entreprises employant plus de 100.000 ouvriers fermèrent leurs portes , parfois à cause du manque de combustible et de matières premières, mais le plus souvent parce que les patrons essayaient ainsi d’échapper au pouvoir sans cesse grandissant des Comités. Le « contrôle ouvrier », c’était, entre autres choses, un moyen de mettre fin à de telles pratiques.

1er Octobre

Publication de « Les bolcheviks garderont-ils le pouvoir ? », de Lénine. Ce texte contient certains passages qui facilitent la compréhension des événements ultérieurs. Quand nous disons : « contrôle ouvrier », ce mot d’ordre étant toujours accompagné de celui de la dictature du prolétariat, le suivant toujours, nous expliquons par là de quel État il s’ agit (...) [S]’il s’agit de l’État prolétarien, c’est-à- dire de la dictature au prolétariat, le contrôle ouvrier peut devenir le recensement (souligné par Lénine, M. B.) national, général, universel, le plus minutieux et le plus scrupuleux de la production et de la répartition des produits ». Dans le même texte Lénine définit le type « d’appareil socialiste » (ou le cadre) dans lequel s’exercera la fonction de recensement (le contrôle ouvrier). « Sans les grandes banques, le socialisme serait irréalisable. Les grandes banques constituent « l’appareil d’État » dont nous avons besoin pour réaliser le socialisme et que nous prenons tout prêt au capitalisme ; notre seule tâche est alors de retrancher de cet excellent appareil d’État ce qui en fait un monstre capitaliste, de le renforcer encore, de le rendre plus démocratique, plus universel (... ). Une banque d’État, unique, vaste parmi les plus vastes, qui aurait des succursales dans chaque canton, auprès de chaque usine, voilà déjà les neuf dixièmes de l’appareil socialiste  ».

Selon Lénine, ce type d’appareil devra permettre une « comptabilité à l’échelle nationale, le contrôle à l’échelle nationale de la production et de la répartition des produits » et serait « quelque chose, pourrions-nous dire, comme la charpente de la société socialiste ». (C’est Lénine qui souligne).

Qu’il soit important d’enregistrer de façon exacte les données économiques, nul ne songera à le nier. Mais l’assimilation pure et simple chez Lénine du contrôle ouvrier, dans un « État ouvrier », au « recensement » (c’est-à-dire à la vérification de l’exécution de décisions déjà prises par d’autres) est tout à fait révélatrice. Nous ne trouverons pas un texte de Lénine qui identifie le contrôle ouvrier à la participation aux décisions fondamentales (c’est-à-dire à l’initiative de ces décisions) concernant la production (volume de la production, mode de fabrication, « coût » économique et social). Dans d’autres écrits de la même période, Lénine répète inlassablement que l’une des fonctions du contrôle ouvrier, c’est d’empêcher le sabotage des grands bureaucrates et fonctionnaires. « Quant aux cadres supérieurs (...) force sera de les traiter « avec rigueur », tout comme les capitalistes. Tout comme les capitalistes, ils résisteront (...). [O]n réussira peut-être, grâce au contrôle ouvrier (sur les capitalistes) à rendre toute résistance impossible  »

Pour Lénine, l’idée du « contrôle ouvrier » (comme moyen d’éviter le lock-out), ainsi que la demande, maintes fois présentée d’« ouverture des livres de compte » (comme moyen d’éviter le sabotage économique), étaient inséparables de la situation historique du moment et de celle des mois qui allaient suivre la révolution. Il envisageait une période pendant laquelle, dans un État ouvrier, la bourgeoisie pourrait conserver la propriété formelle et la gestion effective de la plus grande partie de la production. Le nouvel État, d’après Lénine, ne serait pas capable d’assurer immédiatement la bonne marche de l’industrie. Il y aurait donc une période de transition pendant laquelle il faudrait contraindre les capitalistes à coopérer avec le nouveau pouvoir. Le « contrôle ouvrier » n’était que l’instrument de cette contrainte.

10 Octobre

Quatrième Conférence des Comités d’Usine de Pétrograd et de ses environs. La question principale à l’ordre du jour était la convocation de la première Conférence Panrusse des Comités d’usine.

10 Octobre

Quatrième Conférence des Comités d’Usine de Pétrograd et de ses environs. La question principale à l’ordre du jour était la convocation de la première Conférence Panrusse des Comités d’usine.

13 Octobre

Goloss Trouda réclame un « contrôle ouvrier total sur toutes les activités de l’usine, un contrôle réel et non fictif, contrôle de la réglementation du travail, de l’embauche et du licenciement, des horaires, des salaires et des méthodes de fabrication ». Soviets et Comités d’usine surgissent partout, à une vitesse incroyable. Ce développement tient au caractère absolument radical des problèmes auxquels devait faire face la classe ouvrière. Les Soviets et les Comités, infiniment plus près des réalités de la vie quotidienne que les syndicats, sauront être des porte-parole beaucoup plus efficaces des aspirations fondamentales des masses. Une propagande intensive pour les idées libertaires fut menée pendant toute cette période. « Pas un seul journal ne fut saisi, pas un seul tract, texte ou livre ne fut confisqué, pas un seul rassemblement ou meeting de masse interdit (...). À vrai dire, le Gouvernement était tout disposé à utiliser la manière forte contre les anarchistes et les bolcheviks à ce moment — là. Kérenski menaça à diverses reprises de « cautériser la plaie au fer rouge ». Mais le Gouvernement était sans pouvoir : la révolution battait son plein » Comme nous l’avons déjà signalé, les bolcheviks, pendant cette phase, soutenaient encore les Comités d’usine. Ils y voyaient « le bélier qui portait des coup au capitalisme (...), organisations ( ..) du combat de classe créés par le prolétariat chez lui, sur son terrain, dès le début de la lutte » Ils voyaient aussi dans le mot d’ordre du « contrôle ouvrier » un moyen de saper l’influence des mencheviks dans les syndicats. Mais les bolcheviks se voyaient « entraînés par un mouvement qui par certains côtés les embarrassait fort, mais qu’ils ne pouvaient faire autrement que soutenir, car c’était une des forces motrices de la révolution » Au milieu de l’année 1917, le soutien des bolcheviks aux Comités d’usine avait pris de telles dimensions que les mencheviks en vinrent à les accuser d’« abandonner » le marxisme et de défendre des positions anarchistes. « En fait, écrit Deutscher Lénine et ses camarades restaient fermement attachés à la conception marxiste de l’État centralisé. Leur objectif immédiat n’était pas d’organiser la dictature centralisée du prolétariat , mais de décentraliser autant que possible l’État bourgeois et l’économie bourgeoise, car il s’agissait là d’une condition nécessaire du succès de la Révolution. Or dans le domaine économique, les Comités d’usine, organes créés sur les lieux mêmes de travail, étaient des instruments de subversion beaucoup plus puissants et efficaces que les syndicats. Ceux-ci furent donc relégués au second plan... »

On ne saurait dire de façon plus nette et précise pourquoi les bolcheviks, pendant cette phase, apportèrent leur soutien à l’idée du contrôle ouvrier et à son expression organisationnelle, les Comités d’usine. Aujourd’hui, seule la pure et simple ignorance — ou la ferme volonté de se tromper soi-même — peut permettre encore à certains de croire ou de feindre de croire que le pouvoir ouvrier dans la production ait jamais été l’un des principes ou des objectifs fondamentaux du bolchevisme.

17-22 Octobre


Première Conférence Panrusse des Comités d’usine
, convoquée par Novy Put [Nouvelle voie], un journal « fortement influencé par une sorte d’anarcho-syndica-lisme d’un genre nouveau, quoique qu’il n’y eût pas d’anarcho-syndicalistes à proprement parler dans son comité de rédaction » Selon des sources bolcheviks ultérieures, sur les 137 délégués qui assistaient à la Conférence il y avait 86 bolcheviks, 22 socialistes- révolutionnaires, 11 anarcho-syndicalistes, 8 mencheviks, 6 « maximalistes » et 4 « sans parti » Les bolcheviks étaient sur le point de prendre le pouvoir, et leur attitude envers les Comités d’usine commençait à changer. Shmidt, futur Commissaire du Travail dans le gouvernement de Lénine, décrivit ce qui s’était passé dans beaucoup de régions. « Quand les Comités se formèrent, les syndicats n’existaient pratiquement pas. Les Comités d’usine comblèrent ce vide » Un autre orateur bolchevik affirma que « le développement de l’influence des Comités d’usine s’est effectué bien entendu aux dépens des organisations économiques centralisées de la classe ouvrière comme les syndicats. Il s’agit bien sûr d’un processus tout à fait anormal, qui a abouti dans la pratique à des résultats tout à fait indésirables » Un délégué d’Odessa défendit un autre point de vue. Il déclara que « les commissions de contrôle ne doivent pas être de simples commissions de surveillance, elles doivent être les cellules de l’avenir qui dès maintenant, préparent le transfert de la production entre les mains des ouvriers. Un orateur anarchiste affirma que « les syndicats veulent dévorer les Comités d’usine.

Les gens ne sont pas mécontents des Comités d’usine, mais ils sont mécontents des syndicats. Pour les ouvriers, le syndicat est une forme d’organisation imposée de l’extérieur. Les Comités sont plus près d’eux ». Insistant sur un thème qui allait revenir souvent dans ces discussions, il souligna que « les Comités d’usine sont les cellules de l’avenir... Ce sont eux, et non l ’ État , qui devraient maintenant gérer le pays » Lénine, lui, était parfaitement conscient pendant cette période de l’énorme importance des Comités d’usine ... comme un instrument pour aider le Parti Bolchevik à prendre le pouvoir. Selon Ordzhonikidzé il affirma même à l’époque que « nous devons déplacer le centre de gravité vers les Comités d’usine.

Les Comités d’usine doivent devenir les organes de l’insurrection. Nous devons changer notre mot d’ordre et au lieu de dire « tout le pouvoir aux Soviets » nous devons dire : « Tout le pouvoir aux Comités d’usine » La Conférence vota une résolution proclamant que le contrôle ouvrier — dans les limites que lui assignait la Conférence — n’était possible que sous la domination politique et économique de la classe ouvrière. Elle mettait en garde contre les actions « isolées » et « désorganisées » et déclarait « incompatible avec les buts du prolétariat la mainmise des ouvriers sur les entreprises où ils travaillent, à leur profit personnel »

25 Octobre

Le Gouvernement Provisoire de Kérenski est renversé Élection du Conseil des Commissaires du Peuple (Sovnarkom) lors de la première séance du Second Congrès Panrusse des Soviets.

26 Octobre

Au Second Congrès Panrusse des Soviets, les porte-p arole bolcheviks lancèrent cet appel aux ouvriers de Pétrograd : « La Révolution a vaincu. Tout le pouvoir est passé aux Soviets (...). De nouvelles lois seront édictées ces jours-ci sur la question ouvrière : l’une des plus importantes portera sur le contrôle ouvrier de la production et la normalisation de l’industrie.
<exergue|texte=Nous vous prions de cesser immédiatement toutes les grèves économiques et politiques, de reprendre le travail et de l'accomplir en ordre parfait (...) Chacun à sa place ! |position=left>
Les grèves et les manifestations sont nuisibles à Pétrograd. Nous vous prions de cesser immédiatement toutes les grèves économiques et politiques, de reprendre le travail et de l’accomplir en ordre parfait (...) Chacun à sa place ! Le meilleur moyen de soutenir le gouvernement des Soviets en ces jours est d’accomplir son travail » Pankratova, ajoute, apparemment sans la moindre ironie, que « par cet appel au travail et à l’édification de la nouvelle usine qui venait d’être conquise commença le premier jour du pouvoir des ouvriers »

Publication du Décret sur la Terre. Les terres de la noblesse, de l’Église et de la couronne sont remises aux paysans