La guerre et l’Union sacrée désorganisent les syndicats. Les ouvriers sont dispersés par la mobilisation. C’est l’abandon des revendications et de la lutte contre la guerre qui était une des bases doctrinales de la CGT. L’opposition à l’Union sacrée dans les syndicats réapparaît pourtant à partir de Noël 1914. Ultra-minoritaire, elle se renforce au milieu de 1 91 5 autour de la Fédération des métaux, dont le secrétaire est Merrheim, et de celle des Cuirs et Peaux, de la Chapellerie, de 5 Unions départementales dont celle du Rhône. Cette minorité préconise une paix sans annexions, ni contributions. Elle crée un "comité d’action internationale" et participe du 5 au 8 septembre 1915 à la conférence de Zimmervald en Suisse, rencontre internationale de minoritaires socialistes, syndicalistes, opposants à la guerre. Dans leur ensemble, la C.G.T. et le parti socialiste sont hostiles à cette conférence. Une même minorité se développe pourtant chez les socialistes ; elle obtient un tiers des voix au congrès d’avril 1916.
Parmi les ouvriers, l’opposition à la guerre se manifeste faiblement en 1917 puis apparaît au grand jour dans les grèves de 1918. Malgré l’Union sacrée, les grèves renaissent dès 1915, se développent en 1916 et surtout à partir de l’hiver 16-17.
L’année 1917 marque en effet une étape. L’hiver 16-’l 7 est particulièrement froid. Les fontaines sont gelées à Paris où la population souffre de privations. Le ravitaillement en char- bon est insuffisant : Paris ne reçoit que 3 OO0 tonnes par jour au lieu des 6 000 nécessaires, la plus grande partie du bassin minier du Nord étant sous occupation allemande. Les denrées alimentaires sont chères, le lait et le beurre rares. Seuls le pain et les pommes de terre sont taxés. La viande, les produits lai- tiers, les fruits et légumes vont plus que doubler pendant les quatre années de la guerre. En mars 1917, la carte du sucre est instaurée (75O grammes par personne par mois puis 500 g à partir du mois d’août). Le rationnement ne peut juguler la hausse des prix ; c’est l’inflation. La hausse du coût de la vie dépasse 5O% pour 1917, alors que les salaires n’augmentent que de 25 à 35 %. A partir de mai, le lundi et le mardi sont des jours sans viande, sans lapin, sans volaille. La population des villes est lasse des privations.
Au front, l’hécatombe continue. L’offensive Nivelle err avril sur le Chemin des Dames est un échec extrêmement sanglant ; du 1"’ avril au 9 mai, on compte 27 1 OOO hommes hors de combat. Dans les tranchées où les pertes ont été importantes, ce sont les mutineries (estimées à 25O) suivies de condamnations à mort. L’armée est gagnée par l’écœurement.
Les gréves dans les usines d’armement
L’hiver 16-1 7 est secoué par plusieurs grèves dans les usines d’armement qui vont amener le gouvernement à adopter une réglementation sur les salaires et l’arbitrage.
10O 000 grévistes dans la région parisienne et 3O0 000 en province se battent pour des salaires plus élevés, pour la suppression des primes, pour des comptes plus simples remis la veille de la paie afin d’éviter que les erreurs ne soient remboursées que la semaine suivante. La participation des femmes est importante et influe sur les revendications, telles qu’un langage "plus correct" à leur égard. Des hommes non mobilisés ont rejoint le mouvement.
Albert Thomas, socialiste et "ministre des munitions", est chargé d’examiner la situation dans les usines de guerre. ll rencontre à ce sujet une délégation syndicale dont Jouhaud, secrétaire de la CGT, et Merrheim, puis il dresse un plan à deux volets. Le 11 janvier, une circulaire annonce les sanctions prises contre les ouvriers militaires, mobilisés dans les usines sans droit de grève et menacés de retour au front à tout moment, le 18, deux ouvrières chez Panhard-Levassor sont condamnées par la 1O" Chambre correctionnelle à deux mois de prison. Le 16 et 1 7, le ministre met en place par décrets une nouvelle réglementation des tarifs minima de salaires pour les ouvriers et les ouvrières de l’armement (dans le département de la Seine), il institue dans chaque région un "Comité permanent de conciliation et d’arbitrage" composé en nombre égal de représentants ouvriers et patronaux (non mobilisables) afin d’assurer la production continue par une solution rapide des conflits. En effet, l’artillerie, grosse con sommatrice de matériel de munitions, prend une place de plus en plus importante dans les opérations militaires. Aussi, l’effort de l’arrière est-il accru notamment par l’introduction des méthodes de travail de Taylor dans les usines.
"Plus ministre gue socialiste"
Les mesures adoptées sont dénoncées par Merrheim à une réunion du syndicat des ouvriers et ouvrières sur métaux (la fédération des métaux s’est réorganisée le 2 avril 1916) à la Bourse du travail le 4 février 17 : "les prix portés sur le barème des salaires décrété par le ministre ne sont pas ceux que nous avions soumis à son approbation (...). Or les prix proposés par les patrons étaient bien inférieurs (environ de moitié) aux nôtres". Dans ces conditions, les représentants de la fédération des métaux refusent de s’engager à ce qu’il n’y ait pas de grève. Quant à l’arbitrage, "respectant la liberté individuelle, nous ne pouvons accepter l’arbitrage obligatoire car nous le con- naissons, nous savons comment il est compris". Plus "ministre que socialiste", Albert Thomas avait en effet pris des accents patriotiques pour s’adresser le 25 janvier, par voie de presse, aux ouvrières des usines Schneider d’Harfleur : "Brusquement, sans préavis, au mépris de toutes les règles, vous avez hier suspendu le travail. Avez-vous pensé à la gravité de la faute que vous commettez ? Avez-vous pensé à l’ennemi qui lui n’interrompt pas son labeur ? A vos frères, à vos maris qui attendent avec impatience les moyens de défense que vous leur assurez (...). La dir*tion des usines avait résolu de revoir avec nous les tarifs actuellement en vigueur. Mais cet examen ne peut se poursuivre que si, fidèles au devoir commun, fidèles à l’intérêt de la patrie que tous nous servons, vous retournez au travail"’ L’arbitrage se traduisit en effet par une baisse des salaires et par une menace de prison pour ceux qui refuseraient. Ce ne fut pourtant pas la fin des grèves. Dans la nuit du 1er au 2 mars, une grève des bras croisés a lieu à la Cartoucherie de Vincennes dans l’atelier des balles où travaillent 3OO femmes. Elles entrainent 1 1OO ouvrières des ateliers d’étuis et de chargement. A leur sortie, elles décident les 1 5OO femmes de l’équipe de jour à se joindre à elles. Pour quelques heures, la direction décide de licencier le personnel féminin. Une délégation, avec Picot du syndicat des Arsenaux et Girardin du syndicat de l’Artillerie, se rend au ministère de l’Armement. Les tarifs seront appliqués. Le travail reprend. Au même moment les armements de Bourges sont touchés. La protestation contre la hausse des prix, notamment des denrées alimentaires, s’étend au bâtiment, aux fonctionnaires de la ville de Paris, aux Postes. aux employés du Gaz et du Métro. Les syndicats du bâtiment et de l’habillement appel- lent à chômer le 1", mai et un meeting réunit 4 000 personnes à la maison des syndicats.
"De fil en aiguille"
Le deuxième temps fort des mouvements de 1917 a lieu en mai et juin avec l’action des midinettes suivie de nombreuses corporations à Paris et en province. Fin mai, la grève atteint de nouveau les usines de guerre. Déjà le 8 janvier 1917, les cousettes de deux maisons de couture, "Agnès" rue Auber et "Bernard and Cie" rue de l’Opéra, avaient fait grève deux jours pour obtenir un franc de plus par jour ; elles gagnaient de 2 à 4 F. La reprise avait eu lieu après un compromis (à O,50 F). Au mois de mai, le mouvement prend de l’ampleur. Les 250 midinettes de la maison "Jenny", grande maison de couture de luxe des Champs Elysées, lancent l’action le vendredi 11 mai à 14h. En rentrant dans l’atelier on leur annonce qu’à partir du lendemain, la mai- son appliquera la semaine anglaise : samedi après midi libre mais non payé, probablement en raison d’une baisse de la demande de ces produits de luxe. Elles se mettent immédiatement en grève pour obtenir la semaine anglaise payée, une indemnité de vie chère de 1 F pour les ouvrières et O.5O F pour les apprenties. Les couturières parisiennes avaient vu leur salaire baisser de 25% par rapport à 1914 et le surmenage des "longues veillées" était connu comme l’étaient aussi les gros bénéfices réalisés par ces maisons. Dès le lendemain. le mouvement fait tache d’huile pendant 8 jours dans l’ensemble des branches de la confection. Le 16, elles sont 2 000 en grève qui manifestent sur les boulevards à midi après s’être rendues devant certaines maisons pour appeler les autres à les suivre. C’est la pratique du débauchage particulièrement décriée par la presse. Elles vont par exemple chez "Decrouil" mais trouvent porte close : les ouvrières ont été enfermées à clé par le patron. Malvy, le ministre de l’Intérieur, reçoit les délégations ouvrières et patronales. Les réunions se multiplient avec Jouhaud de la CGT et Dumas de la fédération de l’habillement. Le 18 30 maisons sont touchées et le mouvement rassemble 1O 000 ouvrières de la couture, de la mode et des grands magasins comme les "Galeries Lafayette" et "Le Printemps". Le 19, le patronat cède sur une partie des revendications mais pour la semaine anglaise il faut qu’une loi soit édictée. Malvy s’engage à déposer un projet. A une réunion à la Bourse du travail, Millerat secrétaire du syndicat de l’habillement et Dumas sont favorables aux propositions mais une jeune ouvrière propose de continuer : "Allons jusqu’au bout ! Je ne me suis pas laissée impressionner par les belles paroles des patrons (...). lls parlent de fermer leurs "boîtes". Eh bien, s’ils le font, nous nous partagerons la clientèle. En vérité les commandes affluent et nos patrons attendent avec impatience notre rentrée. Tenons ferme et nous aurons en même temps que 2O sous, la semaine anglaise".
Le lendemain, un accord commun est établi : indemnité journalière de O,75 F pour les ouvrières et de O,50 F pour les apprenties et le principe de la semaine anglaise est admis. Le travail reprendra le 22 mai ; il ne doit pas y avoir de renvoi pour fait de grève. Le 1 3 juin, la loi est publiée ; elle s’applique aux travailleurs du vêtement à Paris et en province mais non à la confection militaire.
Le mouvement a gagné toute la couture mais aussi d’autres branches comme l’alimentation, la bijouterie, les cuirs et peaux, le papier-carton, les grands magasins. Le 25 mai, il touche 20 0OO femmes et 15 corporations. Le 28, ce sont les lingères, les plumassières, les brodeuses, les confectionneuses, le personnel féminin des banques comme la "Société générale" et le "Crédit Lyonnais". "Elles se suivent et se ressemblent" titre "la Bataille syndicaliste", le 1" juin. La semaine anglaise et l’indemnité de vie chère sont à la base des revendications mais certaines sont plus spécifiques. Les confectionneuses Dour dames des maisons "Storck" et "Goldenberg" demandent la suppression du travail aux pièces. ’,4 Paris et en province, on revendique, on discute, et l’on enregistre des satisfactions", comme à Bordeaux, Rouen, Amiens, Annecy, Lyon, Marseille, Rennes, Orléans. A Bor- deaux, à la fin du mouvement, 1 500 femmes prennent une carte syndicale.
Dans les usines de guerre
Le 25 mai, le mouvement atteint les équipements militaires avec l4 maisons en grève et 700 femmes. Le 27, ce sont les boutonniers qui réclament la semaine anglaise. A une réunion du syndicat des métaux à Bondy, où assistent 160 personnes dont 50 femmes, Weber, secrétaire des tôliers souhaite "que toutes les femmes employées dans la métallurgie imitent leurs camarades modistes ou autres (...). Les boutons forment une branche de la métallurgie". Un tract est lu qui appelle toutes les femmes de la métallurgie à réclamer l’application intégrale des tarifs et le système de la semaine anglaise payée. Le 1er juin un rapport de police signale que des "femmes ont commencé un mouvement de grève dans les usines de guerre". Le 3 juin, un meeting est organisé par le "comité intersyndical d’action contre l’exploitation de la femme" pour toutes les corporations en grève. Weber y rappelle que "si les directeurs des usines de guerre avaient appliqué le barème des salaires établi par le ministère de l’Armement, les munitionnettes n’auraient pas cessé le travail". Un délégué du comité rappelle "qu’il serait nécessaire que la femme s’organise car dans les usines de guerre notamment, il est très difficile d’obtenir l’application de la semaine anglaise et même de faire respecter le repos hebdomadaire et les tarifs".
Dans la première quinzaine de juin, le mouvement s’étend : pour la région parisienne, 42 000 grévistes dont 30 000 femmes et 1 2 000 hommes en 13O grèves dont 98 portent sur les salaires et 32 sont des grèves de solidarité. En province, on recense environ 40 grèves avec 16 OO0 grévistes dont 1 ’l OO0 femmes : 38 pour des questions de salaire. Ces grèves sont de courte durée et cachées à l’opinion par la censure. Le 13 juin, une consigne de presse invite les journaux "à ne laisser passer sur les grèves en France que les informations communiquées par le ministère de l’Intérieur".
Dans leur ensemble. elles portent sur des questions de salaire mais elles dénoncent aussi des règlements d’atelier trop sévères, le lait que l’on mette à des postes qualifiés des travailleurs non qualifiés, moins payés. La pratique du débauchage est fréquente et contribue à l’extension du mouve- ment, comme aux usines "Salmson", fabrique de moteurs d’avions qui emploie 4 5OO personnes dont mille femmes. Le lundi de la Pentecôte, 29 ouvrières s’absentent sans autorisation. 5 sont renvoyées alors que dans toutes les usines travaillant pour la défense nationale, cette journée avait été accordée. Dans l’après-midi, ces 5 ouvrières et quelques autres arrivent devant les usines "Salmson" à la tête d’un groupe de 200 femmes, formé de grévistes de la lampe "lris" d’lssy-les-Moulineaux, de chômeuses de la maison "Citroën" et de blanchisseuses de la région de Boulogne. Elles envahissent les ateliers et adressent à la direction une délégation pour la réintégration. C’est l’échec. L’ensemble du personnel est congédié. Le débauchage s’étend à d’autres usines de l’aéronautique comme "Farman", "Henriot", "Kelner" et "Renault" dans la métallurgie.
Dans leurs appels à les suivre, elles disent que les poilus reviendraient plus tôt, que la guerre cesserait d’elle-même le jour où on ne fabriquerait plus de matériel ni de munitions. Dans les réunions qui ont lieu à la Bourse du Travail, les profits de guerre sont dénoncés.
Dans ces secteurs. l’effervescence reprend dans la 2" quinzaine de juin ; le ministre de la Guerre vient d’élaborer un nouveau barème, suite à une proposition syndicale du 13 juin. ll accorde 30 o/o d’augmentation pour les ouvriers qualifiés mais rien pour les manœuvres et les femmes. Le 26, la grève générale "des bras croisés" est décidée par 3 5 000 voix contre 7 000. lls sont 54 000 à cesser le travail avec les 1O 000 qui avaient débuté les jours précédents ’. "Salmson", "Farman’" et "Kelner". "Renault" est seul établissement métallurgique à suivre. De nombreux mobilisés y participent. La reprise est décidée pour le 27 juin puisque le ministre a promis de résoudre le conflit, ministre qui ordonne d’ailleurs des réquisitions. L’agitation se maintient tout l’été car les nouveaux tarifs ne sont publiés que le 13 novembre. Merrheim estime qu’ils ne donnent pas entière satisfaction mais que des améliorations sensibles sont acquises pour les ouvriers qui touchent des bas salaires. Le 1 9 novembre, l’effervescence est tombée. Un ministère de choc vient d’être formé avec Clémenceau (16-11-1917) : les socialistes ne sont plus au gouvernement.
Le ministère Clémenceau va utiliser d’autres méthodes vis- à-vis des syndicalistes (pénétration policière des organisations, répression draconienne, censure, journaux suspendus ou supprimés) ce qui provoque très rapidement une grève dans la Loire. Andrieu (responsable syndical) est mis à la disposition des autorités militaires le 27 novembre à la suite d’un rapport de police. Les métallos se mettent en grève à Firminy, Saint-Etienne, Rive-de.Gier (le centre de la France est un important lieu de fabrication des armes). lls obtiennent sa réintégration le 14.
Les grèves se sont donc multipliées tout au long de 1917, atteignant de nombreuses corporations. Les femmes y ont joué un rôle important par leur nombre et leur participation. Si elles n’eurent pas de grandes responsabilités syndicales, elles furent quelquefois déléguées d’atelier. Pour une petite partie, c’est l’occasion de prendre une carte : moins de 1 2 % des ouvrières de guerre de la région parisienne étaient syndiquées en 1918.
Les revendications économiques étaient dominantes et obtinrent assez vite satisfaction étant donné la demande pressante de l’armée et les profits exceptionnels des usines de guerre. La fédération des métaux y eut un rôle dominant. Bien qu’animée par des opposants à l’Union sacrée, elle n’entraîna pas dans la classe ouvrière un courant radical contre la guerre. Toutefois, la participation de la population locale aux inci- dents militaires dans les gares était fréquente. Les permissionnaires qui remontent au front manifestent leur opposition et leur écœurement par des dégâts matériels dans les trains ou les gares, par des drapeaux hissés et par des slogans lancés contre la guerre : "A bas la guerre. A bas le gouvernement. Vive la Révolution. On nous envoie à la boucherie" On peut recenser une centaine de ces incidents en 1917, l’essentiel avant eu lieu au mois de juin après les mutineries. En 19l8, les grèves ’vont prendre un aspect plus politique en dénonçant la boucherie.
Guerre à la guerre
Aux difficultés de ravitaillement s’ajoutent la relève des travailleurs mobilisés des classes 10, 11, 1 2 et le départ de jeunes classes. 40 000 travailleurs sont menacés du front, dont certains connaissent déjà les horreurs. Le recours simultané à la main d’œuvre étrangère (lndochinois, ltaliens, Américains...) renforce les inquiétudes. Un délégué de chez "Salmson" exprime ses craintes le 15 mai : "ll (Clémenceau) veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes, en nous déclarant que les Américains nous viennent en aide. J’affirme que ce sont à des déclarations mensongères et que ce sont encore les Français qui seront les victimes. ll y a 15OO 000 victimes et environ 3OO 000 blessés- Et cela pourquoi ? Pour un gouvernement rempli d’appétits qui mène à la boucherie les meilleurs des nôtres". Une minorité grandissante réclame des comptes au gouvernement et anime, de mars à mai, un courant de grèves dont l’orientation pacifiste est nette. En mars, un congrès minoritaire se tient dans la région de Saint-Etienne qui préconise la grève générale. Depuis plusieurs mois, on relève de nombreuses déclarations pacifistes dans les réunions syndicales ou de délégués d’ateliers. "Les questions de salaire ne sont plus à envisager. Seule la paix doit intéresser les ouvriers et ouvrières. Votre rôle est de faire autour de vous, à l’atelier, au restaurant, partout enfin la propagande nécessaire pour mettre un terme à la tuerie et le seul mot que vous devez dès maintenant prononcer est celui de paix" (16-02-18 Délégué de chez Levasseur). La motion suivante est adoptée par les délégués des usines de la Seine dès le 3 février : "Nous voulons gue la majorité confédérale se range aux côtés de la minorité. Nous voulons aussi une réunion de l’Internationale et si l’on nous refuse les passeports, nous n’hésiterons pas à décréter la grève générale". L’exemple soviétique qui a signé l’armistice avec l’Allemagne le 15- 12-1917 et la paix le 3 mars 1918, développe les aspirations à une paix immédiate. Des conseils syndicaux minoritaires proposent un tel mouvement dans les centres métallurgiques et d’aviation de la région parisienne. L’action devait partir de province. Ce sont en fait les délégués d’atelier des usines Renault qui décident le 1 1 mai le principe d’une grève immédiate "pour l’application du nouveau barème et amener le gouvernement à faire un pas vers la paix en faisant connaître ses buts de guerre". Cette initiative est reprise le lendemain par les 600 délégués des usines de guerre de la région pari- sienne, qui fixent la date du 13. "ll faut que tous les ouvriers soient prêts à descendre dans la rue pour demander la paix juste et durable". A midi, l’usine est fermée en raison de la grève. La province suit et 2OO 000 métallos participent au mouvement. Ce n’est que le 16 mai que la fédé des métaux prend en charge cette action spontanée. Elle prend contact avec les parlementaires du groupe socialiste et rencontre Clémenceau le 17 mai. lls veulent obtenir un débat parlementaire sur les buts de guerre. Clémenceau en accepte le principe à condition toutefois de ne pas parler du mouvement gréviste en cours. Merrheim et Jouhaud se plient à ces exigences contre des garanties sur l’absence de sanctions contre les grévistes (tout mobilisé (gréviste) qui ne sera pas au front au bout de 5 jours sera considéré comme déserteur), et proposent, avec les organisations syndicales la reprise pour le samedi 18 mai. "Votre mouvement est beau mais songez que la fédé des métaux ne représente pas la classe ouvrière toute entière. Nous aurons cependant le devoir dans l’avenir de rester sur la brèche pour obliger le gouvernement quel qu’il soit à se prononcer sur les buts de guerre".
Mais le mouvement s’est étendu à la province et continue, prenant à plusieurs endroits des formes violentes pour lutter contre la relève. L’agitation est importante dans l’lsère, le Rhône, la Loire, la Saône-et-Loire, la Nièvre... A lmphy, par exemple, la campagne pacifiste est signalée dès le 16 mai. Le 18 les aciéries sont en grève, A 3h du matin. une pancarte apposée à la porte annonce : "La grève générale est décrétée dans toute la France : camarades d’lmphy tous debout ! Réunion à 2 heures". Par la presse du matin, ils apprennent l’accord passé. La reprise n’a cependant lieu que le 22. A Firminy, les manifestants veulent s’opposer au départ des jeunes classes. La troupe est débordée, le commandant du secteur malmené. A Saint-Etienne, une manifestation a lieu à la gare. Des femmes arrêtent les mobilisés cherchent à enlever les paquets et les ordres d’appel. ll y a 3 blessés.
Des cas de sabotage et de coulage sont signalés. A Roanne, où l’arsenal est en grève à partir du 22 mai, au Km 134, des fils de signaux de chemin de fer ont été coupés. A Saint-Etienne, à deux endroits différents, 28 fils sont sectionnés.
L’ensemble de ces mouvements est terminé le 28 mai. La répression ne se fait pas attendre. Ce sont des arrestations pour désertion abandon de poste, provocation de militaires à la désertion. Les minoritaires ont réussi à déclencher un mouvement de grande ampleur contre la guerre, mais les divisions internes et la tactique répressive de Clémenceau en viennent à bout.
Malgré des conditions difficiles - la guerre et l’Union sacrée - les revendications ouvrières, un instant mises à l’écart, ressurgissent avec une grande ampleur et préparent des luttes plus vastes, dès l’armistice signé.
Monique BONNEAU