Le lecteur trouvera ci après des extraits des procès verbaux des réunions du parti bolchévik dans les mois précédant l’insurrection d’Octobre. ces "procès-verbaux" des mois de la révolution, édités seulement en 1929, étaient devenus depuis une rareté bibliographique quasi introuvable. Ils furent réédité en 1958. Le texte complet (pdf) comprenant une introduction écrite par GIUSEPPE BOFFA, historien italien, est disponible en bas de cette page.
. COLLECTIF, Les bolcheviks et la Révolution d’Octobre, procès-verbaux du Comité Central du parti bolchevique, août 1917 - février 1918 , présentation de Guiseppe Boffa, Paris, Maspero, 1964
(17) AOUT RÉUNION PLÉNIÈRE DU COMITÉ CENTRAL
Présents : Staline, Smilga, Boukharine, Dzeriinski, Rykov, loffé, Djaparidzé (Aliocha), Boubnov, Sokolnikov, Oppokov (Lomov), Mouranov, Sverdlov, Serguéiev (Artiom). Milioutine, Noguine , Stassova. Kiséliov.
Ordre du jour :
1) Plan général du travail du Comité central concernant le rapport de l’ancien Comité central.
2) Constitution.
3) Rédaction et questions éditoriales.
4) La conférence de Stockholm.
5) Conférence sur la question de la défense.
6) La Conférence de Moscou
1 . Au début de la réunion les membres de 1 ’ancien Comité central (d’avant le congrès) ont présenté leur rapport sur le travail accompli. Le camarade N(oguine) a déclaré que des bruits courent sur K(amenev) l’accusant d’avoir participé à une provocation et que le Comité exécutif central est au courant de ces bruits. Le Comité central a décidé de mandater le camarade N(oguine) pour demander un rapport au Comité exécutif central sur ce qu’il a entrepris afin de clarifier le fondement des bruits sur K(amenev), ce dernier étant membre du Comité central exécutif. Lorsque la réponse sera donnée. le Comité central pourra se prononcer à ce sujet
Ensuite, il a été présenté la liste des membres du Comité central élus au congrès ainsi que des candidats et les modalités de leur admission au Comité central en qualité de membres. Les présents se sont reconnus comme Comité central et ont commencé leur travail.
En deuxième lieu, on a posé la question du comité restreint, qui a été résolue à l’unanimité. Il a été proposé de le constituer de 11 et de 9 membres. Pour la première proposition, ont voté 9, pour la deuxième, 5.
Il a été décidé de constituer un Comité central restreint de 11 membres. <exergue|texte=le Comité central restreint s'appuiera sur le principe d'une division rigoureuse des fonctions (proposition de Staline) |position=right>
Il a été décidé que, dans son travail, le Comité central restreint s’appuiera sur le principe d’une division rigoureuse des fonctions (proposition de Staline). Une liaison des plus étroites sera organisée entre le Comité central restreint et les régions, au moyen de rapports écrits périodiques, réguliers, réciproques.
Le plénum du Comité central se réunira une fois par mois. Tous les membres présents à Saint-Pétersbourg participeront aux réunions avec voix délibérative.
Il a été décidé d’organiser un groupe d’agents itinérants pour mener certaines campagnes. La constitution de ce groupe est confiée au comité restreint. Les membres du Comité central se déplaceront par districts sur décision du Comité central (approuvé à l’unanimité). La question suivante fut celle du journal et de la revue. Il a été décidé à l’unanimité que le Rabotent i Soldat constitue l’organe du Comité central
Il a été décidé de constituer le comité de rédaction de trois membres + un représentant de l’Organisation militaire + un représentant du Comité de Pétersbourg.
Il a été décidé que pour le moment, ni le Comité de Pétersbourg ni l’Organisation militaire n’auront d’organe séparé. Le camarade B* propose que le comité de rédaction suive fermement la ligne du Comité central (approuvé à l’unanimité).
Il a été décidé que le Vpériod restera l’organe hebdomadaire du parti, et le comité restreint est saisi pour entrer en pourparlers avec le groupe Vpériod sur ce sujet.
Il a été décidé que toutes les recettes et toutes les dépenses pour le Raboichi i Soldat seront concentrées au Comité central. La Rabotnitza demeurera le journal féminin central.
Il a été décidé de liquider le Bureau Petchati » ainsi que de conserver le bureau des coupures ; il a été décidé de confier au comité restreint l’organisation de ses rapports avec l’organe central.
Il a été décidé d’organiser un collège de collaborateurs près le comité de rédaction. Comme membres du comité de rédaction, ont été élus : Ko - 15 (voix) Kov - 12 (voix) Min - 12 (voix) 10 Au cas où il serait libéré, T(rotsky) rentrera au comité de rédaction (contre 11, pour 10). La suppléance du comité de rédaction et le remplacement des membres au cas où des camarades le quitteraient seront réglés par le comité restreint.
La question de l’attitude à prendre envers la conférence de Stockholm ne fera pas l’objet de délibérations étant donné la décision de la conférence d’Avril approuvée par le congrès
Suit la question sur l’attitude du Comité central envers la conférence de la défense
Après les discussions on met aux voix les propositions suivantes :
l) Les groupes du parti n’iront pas à la conférence mais enverront un refus motivé (refusé).
2) Les groupes invités iront à la conférence et s’y organiseront (pour, 4). 3) Les groupes du parti prendront toutes les mesures nécessaires pour empêcher ; la participation,. mais, au cas où les groupes hors-parti s’y rendraient, les bolchéviks organiseront à la conférence et la quitteront démonstrativement (pour - 8, contre - 6).
4) Le Comité central mandate ses membres se trouvant à Moscou pour organiser tous les bolchéviks afin que ceux-ci puissent faire une sortie démonstrative (étant donné la supposition que la conférence de la défense se déroulera à Moscou).
En conclusion le camarade Boukharine est mandaté pour rédiger un manifeste au nom du parti en exécution de la décision .du congrès dont le Comité central est dépositaire
21 AOUT RÉUNION DU COMITÉ RESTREINT DU COMITÉ CENTRAL
Présents : Boukharine, Ioffé, Smilga, Dzeriinski, Milioutine. Sverdlov, Ouritski, Staline, Stassova, Mouranov.
[....] au sujet de la campagne municipale : une liste de 60 membres désignés à la Douma municipale centrale a été préparée ; les textes de trois appels (aux ouvriers, aux soldats et aux femmes) ont été rédigés ; il a été décidé d’organiser, dimanche 13
(août), des réunions électorales partout dans la ville ;
[...] On est informé qu’une grève de la faim est prévue à Kresti et que Trotsky est contre. Il a été décidé de s’informer si 12 grève avait déjà commencé et en cas de réponse affirmative, d’obtenir avec l’aide du Comité central, dans les usines et dans les fabriques, des résolutions de protestation contre l’attitude des autorités à l’égard des détenus (un appel correspondant dans le journal).Au cas où elle n’a pas encore commencé, un appel à ne pas faire la grève de la faim doit paraître dans ce journal, mais la campagne de protestation doit avoir lieu en tout cas.
21 AOUT DÉCLARATION DES BOLCHÉVIKS LUE A LA RÉUNION DE LA CONFÉRENCE SUR LA DÉFENSE,
[...]
Ayant abdiqué tout pouvoir au profit d’un gouvernement contre-révolutionnaire, de "pleins-pouvoirs illimités ", la majorité des Soviets a donné carte blanche aux chefs de file de la politique impérialiste en s’assignant par là le rôle de complice impuissant de la bourgeoisie pour prolonger la guerre qui menace de famine et de ruine les masses populaires et qui nuit à la cause de la révolution. Initiative de la majorité des Soviets, l’organisation du mouvement pour contribuer à la « défense du pays » ne sert en aucune façon les intérêts du pays, ni les intérêts du peuple, mais bien ceux de la bourgeoisie que la guerre enrichit d’une façon inouïe et qui obtient ainsi la possibilité de se servir de la classe ouvrière dans ses buts impérialistes.
[...]
29 AOUT RÉUNION DU COMITÉ RESTREINT DU COMITÉ CENTRAL
[...]
En ce qui concerne le Bureau, une décision a été prise, selon laquelle le Bureau militaire est une organisation qui doit travailler parmi les soldats. A ce propos il a été décidé : selon les statuts du parti, il ne peut y avoir aucune organisation dirigeante propre au parti qui soit parallèle à une autre organisation. Cela est valable tant pour les organisations locales que pour celles concernant toute la Russie. C’est pourquoi le Bureau national de l’Organisation militaire ne peut constituer, lui non plus. un centre politique indépendant. [...]
DÉCL. DES ORGA. MILITAIRES A L’ADRESSE DU COMITÉ CENTRAL DU P.O.S.D.R.
Le Bureau central des Organisations militaires fait observer au Comité centrai que les conditions matérielles et techniques pouvant justifier une interdiction pareille et auxquelles fait allusion le Comité central dans sa résolution, sont inexistantes et qu’en
outre le Comité central a officiellement déclaré par l ’intermédiaire du camarade Staline que le Plénum du Comité central n’avait décidé de se contenter d’un seul journal que de façon provisoire et pour des raisons purement techniques et qu’à la première possibilité, dès que l’Organisation militaire jugera nécessaire ( expression textuelle de Staline) d’éditer son propre organe, le Comité central s’engage à lui fournir des fonds correspondants.
3 SEPTEMBRE PROJET DE RÉSOLUTION DE LA FRACTION BOLCHÉVIQUE DU SOVIET DE PÉTROGRAD SUR LA CONFÉRENCE DE MOSCOU, 21 AOUT (3 SEPTEMBRE) 1917
[...]
Le programme de la soi-disant « démocratie révolutionnaire » présenté par Tchkheidzé à la conférence de Moscou a laissé voir sa faillite politique complète. Il exprime le refus catégorique même de ce qui avait été la plate-forme du congrès national des soviets qui exigeait la paix sans annexions ni réparations. La soi-disant « démocratie révolutionnaire » s’est laissé aller à de. honteuses concessions dictées par le désir de conclure une « alliance honnête » avec les ennemis implacables des ouvriers et des paysans. En son nom, Tsereteli a tendu la main aux partis bourgeois-féodaux, il a conclu avec eux un nouveau pacte et il s’est chargé de lutter contre la « menace de gauche ».
[...]
5 SEPTEMBRE RÉUNION DU COMITÉ RESTREINT DU COMITÉ CENTRAL DU 23 AOUT () 1917
[...]
Au sujet du camarade Kamenev. Il a été décidé d’envoyer au Comité exécutif central une déclaration officielle selon laquelle au cas où la commission d’enquête près le Comité exécutif central n’aurait pas réhabilité le camarade Kamenev à la date du 29 août, le Comité central du P.O.S.D.R. se verrait obligé de proposer au camarade Kamenev de ne pas tenir compte de la déclaration par laquelle il renonçait à l’activité publique.
[...]
RÉSOLUTION DU COMITÉ CENTRAL DU P.O.S.D.R. (b) A L’OCCASION DES SIX MOIS DE LA RÉVOLUTION
Le Comité central de notre parti s’est vu proposer le 22 août de participer au comité créé par le Comité exécutif central pour l’organisation d’une collecte destinée à commémorer les six mois de la révolution. Ayant débattu cette proposition et constatant :
1) que le Comité exécutif central a sanctionné l’arrestation des bolchéviks membres du Comité exécutif central et qu’il les a ainsi livrés à la contre-révolution ;
2) que le Comité exécutif central, violant les droits des représentants du prolétariat, a exclu de la délégation pour la conférence de Moscou les bolchéviks membres du Comité exécutif central en essayant par là de fermer sans ambages la bouche aux
représentants du parti révolutionnaire du prolétariat et de les empêcher de protester contre le concile contre-révolutionnaire de Moscou ;
3) que le Comité exécutif central a procédé à l’encontre et en dépit de la volonté du prolétariat d’avant-garde, en participant à la conspiration moscovite avec la bourgeoisie, sans avoir aucunement consulté le prolétariat de Pétrograd et en dépit de la protestation active de tout le prolétariat de Moscou ;
4) que le Comité exécutif central a favorisé par son silence l’instauration de la peine de mort, abandonnant ainsi la vie des soldats à la merci de la violence contre-révolutionnaire, alors que les Soviets de Pétrograd, de Moscou et de plusieurs provinces s’étaient élevés contre la terreur contre-révolutionnaire.
Le Comité central du P.O.S.D.R. (bolchévique) proteste catégoriquement, tant contre ces dernières démarches que contre toute la politique du Comité exécutif central qui a contraint le prolétariat d’avant-garde à se détourner de lui ; et vu que la participation de ses représentants à la commission pour l’organisation d’une collecte équivaudrait à un vote de confiance à la majorité actuelle et à la politique actuelle du Comité exécutif central. résout de refuser d’envoyer des représentants à la commission pour l’organisation de la collecte du 27 -28 août au profit du Comité exécutif central.
12 SEPTEMBRE RÉUNION DU COMITÉ CENTRAL
Présents : Milioutine, Rykov, lo ffé, Sverdlov, Boubnov, Dzerjinski, Sokolnikov, Staline, Kamenev, Mouranov et Stassova.
[...]
On a présenté un rapport sur l’attitude inadmissible du camarade Riazanov à la réunion commune des syndicats et des comités d’usine et de fabrique , et son attitude qui discrédite le parti de façon non négligeable a fait l’objet d’un jugement général.
Il a été décidé d’aviser Riazanov qu’on lui confère un blâme pour son attitude à la réunion commune et de lui faire savoir que l’on ne peut admettre des propos anti-parti de la part des membres du parti. Il a été décidé de lui faire transmettre un avertissement dans ce sens par l’intermédiaire du camarade Milioutine.
14 SEPTEMBRE DÉCLARATION DE LA FRACTION BOLCHÉVIQUE LUE A LA RÉUNION DE LA DOUMA MUNICIPALE CENTRALE DE LA VILLE DE PÉTROGRAD
[...]
Lorsque, les 3-5 juillet, les masses d’ouvriers et de soldats, sous l’effet de la plus grande inquiétude pour le sort de la révolution, sont descendus au moment critique dans les rues de Pétrograd afin de réclamer la passation de tout le pouvoir aux mains des organes plénipotentiaires de la démocratie révolutionnaire notre parti, après une tentative énergique pour arrêter la manifestation, a décidé d’intervenir dans ce mouvement spontané pour lui conférer le maximum de cohérence possible vu les circonstances. Des fusillades provocatrices, préparées à l’avance, ont suscité le désordre et assombri la manifestation par le sang versé. Le gouvernement n’a pas fait d’effort pour reconstituer, par une enquête minutieuse, le tableau des désordres ou pour établir au moins le nombre des morts de part et d’autre.
Si cela avait été fait, il serait apparu clairement. que l’on ne pouvait parler d’aucun soulèvement armé les 3-5 Juillet et que le nombre des victimes dans les rangs des participants mêmes de la manifestation surpassait celui de ceux qui ont péri victimes d’une provocation criminelle du côté adverse et des personnes qui se trouvaient là par hasard. Plutôt que de procéder à une enquête de ce genre, le
gouvernement de coalition a préféré accuser le grand parti ouvrier de complot et de tueries en masse. Mais cela ne suffit pas. L’Okhrana restaurée a organisé, à la légère, un procès inepte, monté de toutes pièces, contre les dirigeants de notre parti, ces combattants d’avant-garde impitoyables à l’égard de tout impérialisme, en les accusant de haute trahison et d’avoir comploté avec le gouvernement allemand, réactionnaire et rapace.
Ce procès qui a été mené par des fonctionnaires hérités de l’ancien régime,
s’est basé sur des lois tsaristes et a violé, au désavantage des accusés, jusqu’à ces lois elles-mêmes.
[...]
13 SEPTEMBRE RÉUNION ÉLARGIE DU COMITÉ CENTRAL
Présents : les représentants des fractions bolchéviques du Comité exécutif central du Soviet des députés ouvriers et soldats de Pétersbourg et du Bureau politique, ainsi que Ouritski, Dzerjinski, Sverdlov, Staline, Boubnov, Oppokov (Lomov), Mouranov, Milioutine, Rykov, Sokolnikov, Ioffé, Kamenev et Stassova.
[...]
La seule issue est de créer un pouvoir des représentants du prolétariat et de la paysannerie révolutionnaires, dont l’action doit reposer sur les points suivants :
– 1. La proclamation de la république démocratique.
– 2. L’abolition immédiate, sans indemnité, de la grande propriété terrienne et la cession de ces terres en gérance aux comités paysans jusqu’à la décision de l’Assemblée constituante tout en fournissant aux paysans les plus pauvres le matériel agricole nécessaire.
– 3. L’inauguration à l’échelle nationale du contrôle ouvrier sur la production et la répartition. La nationalisation des secteurs les plus importants de l’industrie tels que ! ’industrie du pétrole, celle du charbon et l’industrie métallurgique ; la taxation impitoyable
des grands capitaux et des biens et la confiscation des profits militaires afin de sauver le pays de la ruine économique.
– 4. La dénonciation des traités secrets et la proposition immédiate à tous les peuples des États en guerre d’une paix générale démocratique
[...]
13 SEPTEMBRE RÉUNION DU COMITÉ CENTRAL LE SOIR
Présents : Mouranov, Dzerjinski, Boubnov, Rykov, Zinoviev, Milioutine, Sverdlov, Oppokov (Lomov), Ouritski, Stassova.
[...]
L’organisation militaire représente. à l’heure actuelle, non pas une organisation politique autonome, mais une commission militaire près le Comité central. En outre, le travail de l’ Organisation militaire nécessite de plus en plus l’établisse ment d’une liaison étroite avec le travail concernant toutes les activités du parti. Tout le travail au sein de l’Organisation militaire est exécuté sous la direction du Comité central :
[...]
Le Comité central avait décidé d’organiser un groupe pour l’unification du travail des syndicats et, quelques pas ont déjà été faits dans ce sens ; le groupe en question a été constitué mais il n’a pas encore été décidé de sa constitution définitive.
[...]
16 SEPTEMBRE RÉUNION DU COMITÉ CENTRAL
Présents : Mouranov, Kamenev, Sverdlov, Ioffé, Ouritski, Boubnov, Milioutine et Stassova
Pour clore la réunion, on a lu la lettre de Lénine
LETTRE DE LÉNINE AU COMITÉ CENTRAL DU P.O.S.D.R.
Il se peut que ces lignes arrivent trop tard, car les événements se développent avec une rapidité parfois vraiment vertigineuse. Je les écris le mercredi 30 août. Ceux à qui je les adresse ne les liront pas avant le vendredi 2 septembre. A tout hasard, je crois pourtant devoir écrire ce qui suit. La rébellion de Kornilov est tout à fait inattendue (inattendue à un tel moment et sous une telle forme) et marque, on peut le dire un tournant vertigineux dans le cours des événements.
Comme chaque tournant brusque, celui-ci exige une révision et une modification de la tactique. Et, comme dans toute révision, il faut être archiprudent pour ne pas faire preuve d’absence de principes.
Aller jusqu’à admettre le point de vue de la défense nationale (comme Volodarski), ou jusqu’à faire bloc avec les socialistes révolutionnaires, jusqu’à soutenir le Gouvernement provisoire (comme d’autres bolchéviks), c’est, j’en ai la conviction, faire preuve d’absence de principes. C’est archi-faux, c’est faire litière des principes. Nous ne deviendrons partisans de la défense nationale qu’après la prise du pouvoir par le prolétariat, après avoir offert la paix, après avoir dénoncé les traités secrets et rompu toute attache avec les banques. Après seulement. Ni la prise de Riga, ni la prise de Pétrograd ne feront de nous des partisans de la défense nationale. (Je vous prie instamment de faire lire ceci à Volodarski.) Jusque-là, nous sommes pour la révolution prolétarienne, nous sommes contre la guerre. nous ne sommes pas pour la défense nationale.
Même à présent, nous ne devons pas soutenir le gouvernement Kérensky. Ce serait ne pas avoir de principes. Comment, nous demandera-t-on, il ne faut donc pas combattre Kornilov ? Bien sûr que si ! Mais ce n’est pas une seule et même chose ; il y a une limite entre les deux ; et cette limite, certains bolchéviks la franchissent en cédant à I’« esprit de conciliation 11, et en se laissant entraîner par le flot des événements.
Nous faisons et nous continuerons de faire la guerre à Kornilov, comme les troupes de Kérensky ; mais nous ne soutenons pas Kérensky, nous dévoilons au contraire sa faiblesse. Il y a là une différence ; une différence assez subtile, mais tout à fait esse n-
tielle, et qu’on ne doit pas oublier. En quoi consiste donc la modification de notre tactique après la révolte de Kornilov ?
En ce que nous modifions la forme de notre lutte contre Kérensky. Sans atténuer le moins du monde notre hostilité envers lui, sans rétracter aucune des paroles que nous avons dites contre lui, sans renoncer à le renverser, nous disons : il faut tenir compte du moment, nous n’essaierons pas de le renverser tout de suite, nous le combattrons maintenant d’une autre façon et plus précisément en soulignant au yeux du peuple (qui combat Kornilov) la faiblesse et les hésitations de Kérensky. Nous le faisions déjà auparavant. Mais c’est maintenant devenu le principal : voilà en quoi consiste le changement.
Il consiste aussi à mettre maintenant au premier plan le renforcement de l’agitation pour ce qu’on pourrait appeler les « revendications partielles » en disant à Kérensky : arrête Milioukov, arme les ouvriers de Pétrograd, rappelle les troupes de Cronstadt, de Vyborg et de Helsingfors à Petrograd, dissous la Douma d’Etat, arrête Rodzianko, légalise la transmission des domaines des grands propriétaires fonciers aux paysans, établis le contrôle
ouvrier sur le blé et les usines. etc., etc. Et ce n’est pas seulement à Kérensky que nous devons présenter ces revendications, ce n’est pas tant à Kérensky qu’aux ouvriers, aux soldats et aux paysans entrainés dans la lutte contre Kornilov. Il faut les entraîner plus loin. les encourager à rosser les généraux et les officiers qui se sont prononcés pour Kornilov, insister pour qu’ils réclament immédiatement la transmission de la terre aux paysans, leur suggérer la nécessité d’arrêter Rodzianko et Milioukov, de dissoudre la Douma d’Etat, de supprimer la Retch et les autres journaux bourgeois et de les déférer aux tribunaux. Il importe surtout de pousser dans cette voie les socialistes-révolutionnaires "de gauche".
On aurait tort de croire que nous nous sommes éloignés de notre objectif : la conquête du pouvoir par le prolétariat. Non. Nous nous en sommes considérablement rapprochés, pas en ligne droite, mais de biais, Et il faut, sans perdre un instant, faire contre Kérensky plutôt de ) ’agitation indirecte que de ! ’agitation directe et cela, en exigeant une lutte active, active au maximum, et vraiment révolutionnaire, contre Kornilov. Seul le développement de cette lutte peut nous mener au pouvoir ; en faisant de l’agitation il ne faut guère en parler (tout en sachant fermement que les événements peuvent, dès demain, nous porter au pouvoir et que nous ne le lâcherons plus quand nous l’aurons pris).
A mon avis, il faudrait, dans une lettre aux agitateurs (et non dans la presse), le dire aux commissions d’agitation et de propagande et, en général, aux membres du Parti. Quant aux phrases sur la défense du pays, sur le front unique de la démocratie révolutionnaire, sur le soutien du Gouvernement provisoire, etc., etc ...
Il faut les combattre impitoyablement, en montrant précisément qu’elles ne sont que des phrases. L’heure est à l’action : ces phrases, MM. les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks, vous les avez galvaudées depuis longtemps. L’heure est à l’action. II faut faire la guerre à Kornilov avec des méthodes révolutionnaires, en entraînant les masses, en les exaltant, en les enflammant (or, Kérensky a peur des masses, a peur du peuple). A cette heure dans la guerre contre les Allemands, il faut agir : leur PROPOSER la paix immédiatement et sans réserve des conditions précises. On peut ainsi ou obtenir une paix prompte, ou transformer la guerre en guerre révolutionnaire. Autrement menchéviks et socialistes-révolutionnaires resteront à la dévotion de l’impérialisme.
p-s. Ayant lu, après avoir écrit ces lignes, six numéros du Rabotchi, je dois dire que nous sommes parfaitement d’accord. J’applaudis, de tout cœur. aux excellents éditoriaux. aux revues de la presse et aux articles signés V. M-ne et Vol-ski *. Sur le discours de Volodarski, j’ai lu la lettre de ce dernier à la rédaction ; cette lettre "annule " elle aussi, mes reproches.
Salut, encore une fois, et meilleurs vœux !
Lénine.
1 9 SEPTEMBRE RÉUNION DU COMITÉ CENTRAL
[...]
II a été décidé de désigner comme candidats au soviet de Pétrograd Lénine et. Zinoviev’ . si le Soviet. se tient en premier lieu ou, si le Comité exécutif central a heu avant, là-bas, et ensuite au Soviet de Pétrograd - Boubnov, Sokolnikov et Sadovski
[...]
26 SEPTEMBRE RÉUNION DU COMITÉ CENTRAL
Présents : Tro tsky, Kamenev, ta ine, Sverdlov, Boubnov, Oppokov (Lomov), Kollontaî, Ouritski, Ioffé, Chaoumian Sokolnikov, Mili outine, Krestinski.
[...]
Il a été décidé d’organiser, après la conférence démocratique, une conférence du parti avec la participation des représentants locaux et des membres du Comité central
[...]
1er OCTOBRE) DÉCLARATION DE LA FRACTION BOLCHÉVIQUE LUE A LA CONFÉRENCE DÉMOCRATIQUE PAN-RUSSE
[...]
La révolution a atteint son point le plus critique. Désormais, ce sera ou bien un nouvel essor ou bien la chute mortelle. Le peuple est épuisé par la guerre, mais il est peut-être encore plus éreinté par l’indécision, torturé par les oscillations de la politique des partis dirigeants. Un peu plus de six mois après le renversement du tsarisme, après une foule de tentatives pour bâtir le pouvoir révolutionnaire sur une coalition des représentants de la démocratie et de ceux de la bourgeoisie, après maints agissements piteux d’un régime personnel qui nous a menés directement au putsch de Kornilov, la question du pouvoir se nose de nouveau de façon aiguë devant les forces motrices de la révolution
[...]
Seul un pouvoir qui s’appuie directement sur le prolétariat et sur les paysans pauvres, un pouvoir qui contrôle toutes les richesses matérielles du pays ainsi que ses possibilités économiques, qui ne s’arrête pas, dans ses mesures, au seuil des intérêts
cupides de groupes possédants, un pouvoir qui mobilise toutes les forces scientifiques et techniques dans des buts sociaux et économiques, seul un tel pouv ?ir e t capab !e en ce m ?ment d’.introduire Je maximum de planification possible dans I économie qui se désagrège, d’aider la paysannerie et les ouvriers a ricoles à utiliser avec un maximum de succès les moyens disponibles pour la production agricole, de limiter le profit,. d’établir un _ salaire, et de garantir, conformément à la production réglementee_, une
vraie discipline du travail basée sur l’autogestion des travailleurs et sur leur contrôle centralisé sur l’industrie, et d’assurer avec le moins de chocs possible, la démobilisation de toute l’économie
[...]
Les mesures immédiates suivantes doivent être décrétées
– 1) Cessation de toute répression dirigée contre la classe ouvrière et ses rganisations. Abolition de la peine de mort sur le front et rétablissement d’une liberté totale de la propagande et de toutes les organisations démocratiques dans l’armée. Epuration de l’armée des cadres contre-révolutionnaires.
– 2) Eligibilité des commissaires et d’autres fonctionnaires par les organisations locales.
– 3) Armement général des ouvriers et organisation de la Garde Rouge.
– 4) Dissolution du Conseil d’Etat et de la Douma d’Etat. Convocation immédiate de l’Assemblée constituante.
– 5) Abolition de tous les privilèges de caste (nobiliaires, etc.), égalité absolue des citoyens.
– 6) Instauration de la journée de travail de 8 heures et introduction des assurances sociales pour tout le mond
[...]
28 SEPTEMBRE RÉUNION DU COMITÉ CENTRAL
Présents : Trotsky, Kamenev, Rykov, Noguine, Staline, Sverdlov, Boubnov, oukharine, Oppokov (Lomov), Kollontaï, Dzerjinski, Ouritski, Ioffé, Chaoumian, Sokolnikov, Milioutine.
[...]
Le camarade Kamenev propose d’adopter la motion suivante : Après avoir discuté les lettres de Lénine, le Comité central refuse les propositions pratiques qu’elles contiennent, appelle toutes les organisations à ne suivre que les directives du Comité
central et affirme à nouveau que le Comité central trouve inadmissible dans les circonstances présentes toute manifestation de rue. En même temps, le Comité central prie le camarade Lénine d’élaborer dans une brochure indépendante la question posée
dans ses lettres : estimation des circonstances présentes et la politique du parti.
La motion est refusée.
[...]
LENINE : LES BOLCHÉVIKS DOIVENT PRENDRE LE POUVOIR
Lettre 25-27 septembre 2017 au Comité central, aux comités de Pétrograd et de Moscou du P.O.S.D.R.
[...]
Pour réussir, l’insurrection doit s’appuyer non pas sur un complot, non pas sur un parti, mais sur la classe d’avant-garde. Voilà un premier point. L’insurrection doit s’appuyer sur l’élan révolutionnaire du peuple. Voilà le second point. L’insurrection
doit surgir à un tourn ant de ! ’histoire de la révolution ascendante où l’activité de l’avant-garde du peuple est la plus forte, où les hésitations sont les plus fortes dans les rangs de l’ennemi et dans ceux des amis de La révolution faibles, indécis, pleins de contradictions ; voilà le troisième point. Telles sont les trois conditions qui font que, dans la façon de poser la question de l’insurrection, le marxisme se distingue du lanquisme,
Mais, dès que ces conditions se trouvent remplies, refuser de considérer l’insurrection comme un art, c’est trahir le marxisme,
c’est trahir la révolution.
[...]
Et pour considérer l’insurrection en marxistes, c’est-à-dire co_ mme un art, nous devrons en même temps, sans perdre une mmute, organiser l’étai-maior des étachements insurrectionnels, répartir nos forces, lancer les régiments sûrs aux points les plus importants, cerner le théâtre Alexandra, occuper la forteresse Pierre-et-Paul, arrêter l’état-major général et le gouvernement, envoyer contre les élèves-officiers et la division sauvage des détachements prêts à mourir plutôt que de laisser l’ennemi pénétrer dans les centres vitaux de la ville ; nous devrons mobiliser les ouvriers armés, les appeler à une lutte ultime et acharnée, occuper simultanément le télégraphe et le téléphone, installer notre état-major de l’insurrection au Central téléphonique, le relier par téléphone à toutes les usines, à tous les régiments, à tous les centres de la lutte armée, etc.
[...]
3 OCTOBRE RÉUNION DU COMITÉ CENTRAL
Présents : Tr ?tsky, Ouritski, Boubnov, Boukharine, Dzerjinski, Sverdlov, Smilga, ollontaï, loffé, Sokolnikov, Rykov Mouranov, Serguéiev (Artiom), Krestinski, Chaoumian.
[...]
L’étranger. On a décidé d’entendre le rapport du camarade Alexandrov (Sémachko) qui a assisté à la Conférence de Zimmerwald • On a décidé de constituer un groupe chargé des rapports avec l’étranger ; les camarades Kollontaï et Larine en feront partie. La constitution du groupe et l’organisation des rapports avec 1 ’étranger incombent à la camarade Kollontaï. A la prochaine réunion du Comité central, elle doit présenter un
rapport sur 1 ’organisation du groupe. On a décidé de proposer au camarade Alexandrov de présenter également un rapport sur la Conférence de Zimmerwald à la conférence du parti.
[...]
4 OCTOBRE RÉUNION DU COMITÉ CENTRAL
Présents : Trotsky, Kamenev, Staline, Sverdlov, Rykov, Noguine, Mili outine, Smilga, Ouritski, Serguéiev (Artiom). Mouranov, Krestinski, Ioffé, Dzerjinski, Boukharine, Sokolnikov, Chaoumian.
[...]
Au sujet du camarade Zinoviev, il a été réaffirmé que son cas ne pourrait être en aucun cas séparé de celui du camarade Lénine ; on a réaffirmé éga !emnt la décision d’organiser la réunion plénière avec sa participation,
[...]
6 OCTOBRE RÉUNION DU COMITÉ CENTRAL
Présents : Trotsky. Kamenev, Zinoviev, Noguine, Serguéiev (Ar-
tiom), Boukharine, Boubnov, Krestinski, Sokolnikov, Sverdtov.
Milioutine, Dzerjinski, Ioffé, Chaoumian, Ouritski ; avec voix
consultative, des représentants régionaux : Sosnovski (Oural),
Piatakov (Kiev), Smirnov (Moscou).
[...]
La résolution suivante a été adoptée : Informé que le camarade
Riazanov, lors de la lecture de notre déclaration , s’est adressé
à Tsereteli en l’appelant « camarade », le Comité central propose aux camarades de ne pas appeler « camarades », lors des manifestations publiques, ceux dont la désignation par ce terme pourrait offenser le sentiment révolutionnaire des ouvriers (pour
– 8, contre - 2, abstentions - 5).
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6 OCTOBRE DÉCLARATION DE LA FRACTION BOLCHÉVIQUE PRÉSENTÉE A LA RÉUNION DU PRÉ-PARLEMENT
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Nous, fraction du P.0.S.D.R. (bolchévique), nous constatons que les représentants officiels de la Conférence démocratique, en contradiction complète avec leurs propres déclarations au cours de la conférence et avec les décisions de celle-ci, proposent aux forces démocratiques : 1. de renoncer pratiquement aux droits révolutionnaires au pouvoir ; 2. la reconnaissance de principe de l’irresponsabilité de Kérensky et 3. la coalition avec des éléments cadets et de la grande bourgeoisie. Nous déclarons que l’acceptation de ces conditions signifie fouler ouvertement au pied la volonté de ces mêmes masses populaires sur lesquelles veut s’appuyer la Conférence démocratique et au nom desquelles elle veut parler. Le Soviet des députés ouvriers et soldats de
Pétrograd, le Soviet des députés ouvrier et soldats de Moscou le Soviet des députés ouvriers, soldats et paysans de ta région du Caucase, le Soviet régional des députés ouvriers et soldats de la Finlande, le Soviet des députés ouvriers et soldats de la région de l’Oural, les Soviets de Kronstadt, d’Odessa, d’Ekaterinbourg, du bassin du Donetz, de Bakou, de Revel, de Kiev, de presque toute la Sibérie, Je Soviet des syndicats de
Pétrograd, un grand nombre de Soviets des députés paysans et beaucoup d’autres organisations révolutionnaires ont déclaré, à une majorité écrasante, qu’ils estimaient inadmissible de conclure une coalition avec la bourgeoisie contre-révolutionnaire qui,
à l’heure actuelle, se range tout entière sous la bannière du parti cadet.
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