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les révolutions de 1917 à 1921
La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

La boucherie de la guerre de 14-18 accouche d’un monde qui se révolte.

Alexandre Schreider - Le drame de Cronstadt et l’avenir de la révolution russe

Notre camarade A. Schreider qui fut le représentant du Parti socialiste révolutionnaire de gauche de Russie (fraction internationaliste), dont on sait quel a été le rôle important dans la Révolution bolchevique d’octobre 1917, nous adresse de Rome l’intéressant article suivant.

Les premières nouvelles sur les événements de Cronstadt étaient tout à fait invraisemblables. Elles disaient que les matelots et les ouvriers de Cronstadt s’étaient révoltés sous la conduite des socialistes-révolutionnaires de droite et des mencheviks et qu’ils réclamaient la convocation de la Constituante.

Un tel objectif étant tout à fait discrédité chez les ouvriers et paysans de la Russie, il était difficile de croire qu’un mouvement quelque peu sérieux aurait inscrit sur son drapeau ce mot d’ordre de la Constituante, qui est déjà devenu synonyme de contre-révolution.

En réalité, les dernières nouvelles de Cronstadt nous montrent que ce mouvement n’a rien de commun ni avec les socialistes de droite, ni avec leur mot d’ordre. Ceux qui seraient venus préconiser à Cronstadt la Constituante auraient été aussi bien reçus que ceux qui seraient venus parler de monarchie.

Les Izvestia, organe du Comité révolutionnaire de Cronstadt, écrivent dans leur numéro du 8 mars  :

Nous ferons tout pour avoir des Soviets librement élus, nous luttons contre la dictature d’un parti, contre la terreur rouge, pour les pleins pouvoirs des Soviets libres.

Cette idée est encore mieux soulignée dans l’appel des matelots de Cronstadt aux ouvriers du monde. Les révoltés de Cronstadt y font ce serment solennel.

Nous mènerons, disent-ils, notre lutte contre le fanatisme d’un parti jusqu’à la victoire ou bien nous mourrons avec ce grand cri  : "Vivent les Soviets librement élus  !"

Les mots d’ordre des révoltés de Cronstadt sont réellement de nature à unir dans un grand élan toutes les volontés révolutionnaires des ouvriers et des paysans russes et nous ne nous étonnons pas que le gouvernement bolchevik, pour pouvoir combattre la révolte, ait dû remplacer ce programme d’action par la fade idée de la Constituante.

Mais plus ces mots d’ordre sont révolutionnaires, plus ils sont de nature à soulever la grande masse des travailleurs — plus grande doit être notre réserve.

Nous aurions bien compris que les partisans de la Constituante ou de la monarchie prissent les armes pour faire valoir leurs idées, mais que les partisans — et les partisans sincères — du système des Soviets soient obligés de défendre ces Soviets contre les menées dictatoriales des communistes à main armée, c’est certes l’un des malentendus les plus tragiques de la Révolution russe. Toute la faute incombe sans aucun doute au gouvernement de Moscou.

Mais, néanmoins, quelle que soit notre sympathie pour les mots d’ordre des révoltés de Cronstadt — nous, socialistes révolutionnaires de gauche, les avons préconisés depuis de longues années — quelle que soit notre conviction que les chefs du mouvement, ainsi que les masses de travailleurs qui sont avec eux ne veulent que du bien à la Russie ouvrière et paysanne — nous ne pouvons pas approuver leur mode d’action.

Les révolutionnaires de Cronstadt venus au pouvoir auraient-ils la possibilité de maintenir ce pouvoir en lui donnant la forme des Soviets librement élus  ? Presque sans aucun doute — non.

La réaction de toutes nuances, depuis les monarchistes jusqu’aux partisans de la Constituante — a déjà relevé la tête. Les mains avides des réactionnaires du monde entier sont déjà tendues vers Cronstadt.

Ont-ils bien pensé — les chefs révolutionnaires de Cronstadt — qu’involontairement certes, contre leur gré, ils ne peuvent que frayer le chemin aux réactionnaires de tout sorte  ?

Si ce n’est pas la monarchie, c’est la Constituante qui viendrait remplacer les Soviets. Cela voudrait dire que la roue de l’histoire serait arrêtée, la révolution sociale serait écrasée pour être remplacée par la démocratie bourgeoise. Est-ce là le but des révoltés de Cronstadt  ?

Alors, que faire  ? Quelle peut être l’issue de ce malentendu tragique  ?

Il n’y a qu’une seule voie qui pourrait mener la Révolution à la victoire finale  : c’est le changement complet de la politique de Moscou. Moscou lui-même doit proclamer les mots d’ordre de Cronstadt  : les Soviets libres, la fin de la dictature d’un parti et de la Terreur. C’est la seule voie qui peut sauver la Révolution.

Si Moscou n’entre pas dans cette voie, c’est l’anarchie, c’est la révolte dans toute la Russie, c’est la mort du régime des Soviets et avec lui la mort de la Révolution sociale. Le sort de la Révolution est entre les mains du gouvernement de Moscou.

Alexandre Schreider, Délégué du Parti socialiste révolutionnaire de gauche (internationalistes).